Il ne se passe pas un jour sans que l'on entende proclamer dans les médias anglo-saxons "la fin de l'Europe" ou "la chute de l'euro". L'humeur est à la morosité.
Revitaliser le rêve européen suppose de savoir ce que nous voulons atteindre. Quel est ce rêve européen qu'il s'agit de ressusciter ? Qui sommes-nous et où voulons-nous aller ? Cela évoque pour moi le rêve assassiné de la Constitution européenne.
Dans les années 50 à 70, le projet européen a bénéficié d'un soutien populaire qui venait de l'obsession d'écarter à jamais le risque d'une nouvelle guerre entre Européens. Le rêve européen, c'était de vivre ensemble dans une communauté pacifique et solidaire entre les peuples sans que les affrontements sanguinaires déchirent à nouveau le continent.
Ce risque a disparu. Il est même totalement éradiqué, ce qui constitue un résultat admirable. Mais, en disparaissant, il a privé aussi la construction européenne d'une partie de son soutien populaire. Au cours des années 70, nous avons bâti la maison européenne en la dotant de ses fondations, en lui donnant une structure institutionnelle, avec notamment la création du Conseil européen, instance du futur gouvernement de l'Europe, l'élection au suffrage universel direct du Parlement européen et la mise en place du Système monétaire européen, précurseur de la future monnaie commune.
Nous étions alors sur une trajectoire constructive. Tous les rêves étaient permis.
Les décennies suivantes ont été consacrées à l'achèvement du marché unique et à la préparation du terrain pour la grande réconciliation Est-Ouest.
Le traité de Maastricht avait fait espérer aux plus fervents parmi les fédéralistes la naissance d'une union politique pouvant aller, un jour, jusqu'à une défense commune. Le rêve européen des années 1990-2000, c'était, ou plutôt cela aurait dû être, de voir émerger un acteur à part entière sur la scène internationale capable de faire entendre sa voix et d'entraîner les autres.
Force est de constater qu'à part l'instauration de l'euro les autres politiques n'ont guère été développées. En 1991, on a changé de nom, passant de la Communauté originelle à une "Union", mais dans les faits l'Union a buté contre la renaissance de l'écueil intergouvernemental, dont le slogan est : qu'est-ce que l'Europe peut faire pour mes électeurs ? L'extension géographique et numérique insuffisamment préparée à Nice, suivie du grand élargissement de 2004, a fait redevenir l'Europe une simple communauté d'Etats-nations avec des préoccupations plus commerciales que politiques.
Les Européens sont "las d'Europe". Les citoyens ne ressentent plus le bénéfice, soixante ans après la guerre, de la communauté de valeurs qui les unit et, par un irréalisme surprenant, ils ne voient pas surgir à l'horizon les géants du développement mondial, auxquels aucun d'entre eux, y compris l'Allemagne, si on en excepte sa production automobile, ne peut se comparer.
Vision.
Pour revitaliser le rêve et réussir son intégration, l'Europe a besoin avant tout d'un effort de pensée, de ce que j'appellerai une "vision conceptuelle", ou encore d'une vision stratégique.
Cette nécessité n'est pas du tout présente dans la conscience des peuples. Et les dirigeants politiques l'expliquent insuffisamment à l'opinion, préférant continuer à gérer leurs carrières dans le cadre national.
Cette nécessité n'est pas du tout présente dans la conscience des peuples. Et les dirigeants politiques l'expliquent insuffisamment à l'opinion, préférant continuer à gérer leurs carrières dans le cadre national.
La Convention sur l'avenir de l'UE avait tenté, en élaborant un traité constitutionnel, de doter l'Union du cadre institutionnel et des compétences à la hauteur de son ambition, celle d'un grand ensemble unifié et puissant. Mais le temps n'était, semble-t-il, pas mûr chez les dirigeants, qui ont géré de manière inepte des référendums pour ce saut qualitatif. On est passé - de justesse - à côté du rêve européen !
La création de l'euro est un autre exemple de la "nécessité de la dimension", et c'est un grand succès : en une décennie, l'euro est passé devant le yen, la livre sterling et le franc suisse, pour devenir la deuxième monnaie d'usage mondial, après le dollar. Un des plus grands marchés de consommation dans le monde n'aurait pas pu fonctionner avec une quinzaine de monnaies flottant entre elles. La crise actuelle, provoquant une cascade de dévaluations compétitives, aurait disloqué le système et infligé des secousses graves aux entreprises. Les Européens auraient découvert l'angoisse de vivre dans un champ de ruines monétaires.
Délais.
Dans un monde en crise où l'esprit du grand public n'est plus à même d'avoir une vision globale exacte des problèmes et où la démagogie règne, faisons attention aux mots. Faire un effort de pensée, c'est être prudent, aussi, dans l'usage des mots.
Un exemple : on entend répéter tous les jours que l'euro est en danger. Cette affirmation est totalement dépourvue de sens. C'est, pour parler simplement, une ânerie.
Les déficits publics dans la zone euro sont en moyenne inférieurs à ceux des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne ou du Japon.
Aucune grande monnaie n'a jamais disparu par la pression des marchés et la zone euro continuera à attirer des investisseurs. Affirmer que l'euro est menacé, c'est entretenir délibérément le jeu de la spéculation, qui cherche à tirer un profit à court terme de la baisse de la monnaie commune.
Lorsque les opérateurs ont découvert la situation budgétaire de la Grèce, qui rendait peu probable le paiement de la dette qu'elle avait contractée et faisait planer le doute sur la possibilité pour elle de placer de nouveaux emprunts, ils ont présenté cette défaillance comme mettant en danger l'euro, alors qu'elle ne concernait que les finances publiques grecques ! La situation présentait des similitudes avec celle de l'Etat de Californie, en faillite, sans que personne mette en cause le dollar. La plupart des dirigeants européens se sont laissé prendre par cette présentation, alors que le problème n'avait pas de cause monétaire mais était celui d'une grande "collectivité territoriale" risquant de se trouver en cessation de paiement.
N'assombrissons pas inutilement le sort des citoyens grecs en spéculant sur leur sortie de la zone euro, voire de l'Union. La Grèce en tant que civilisation fondatrice de l'Europe a toute sa place dans l'Union - cela ne fait pas l'ombre d'un doute !
Sur le plan économique, toutes les options doivent à présent être considérées. Une "restructuration ordonnée" de la dette grecque ne doit pas être écartée. Si la Grèce avait encore une monnaie, celle-ci devrait être fortement dévaluée, et cela entraînerait automatiquement une révision à la baisse de toutes les grandeurs évaluées en monnaie nationale. Comme l'appartenance à la zone euro interdit à la Grèce de dévaluer, on lui demande de réaliser, par des décisions domestiques, l'équivalent de ce que produirait une dévaluation. Par contre, on lui demande de maintenir la valeur de sa dette publique en monnaie forte, ce qui est évidemment irréaliste, et on ajoute de nouveaux prêts à cette dette déjà irremboursable. L'argument invoqué est celui du risque de contagion, du "domino bancaire". A y regarder de plus près, cet argument est avancé par ceux, fonds spéculatifs ou banques, qui se sont avancés, à leurs risques et périls, à acquérir des bons de la dette grecque. Le moment serait venu de transférer cette dette à une "caisse d'amortissement de la dette grecque", alimentée par une partie des fonds structurels européens et une contribution du budget hellénique, qui négocierait avec les porteurs de bons les délais et les modalités du remboursement de leurs titres. Elle doit s'accompagner de profondes réformes structurelles, qui seront longues, parce qu'il s'agit d'un changement de mentalité. Elles ont trait au contrôle des impôts et passent par des privatisations ; probablement aussi par la conversion de la dette en eurobonds à taux inférieurs et sur des durées plus étalées pour redonner de l'oxygène au pays.
Rêve.
Trop souvent, on fait semblant de construire l'Europe en affichant des ambitions communes élevées, tout en conservant par-devers soi l'essentiel des pouvoirs. C'est "l'Europe des fausses promesses" mais qui ne réalise rien, l'Europe qui fait semblant.
On ne pourra pas continuer à faire l'impasse sur un débat plus profond concernant la nature de l'Union, ses politiques, son concept de solidarité, ses frontières.
Voulons-nous une confédération souple d'Etats, unis par les principes du marché et avec des solidarités à la carte, ou souhaitons-nous voir émerger un jour un ensemble de type fédéral fort et cohérent, doté d'un visage et d'une voix identifiables par tous dans le monde ?
"La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit", disait Oscar Wilde.
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