La dégradation de la note de la dette souveraine du Portugal au rang d""obligation pourrie" a soulevé des commentaires critiques de la part des responsables politiques européens et relancé la polémique sur le rôle et la place des agences de notation. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services, livre son analyse sur cette controverse.
Les agences de notation sont-elles trop sévères ?
Les agences de notation sont-elles trop sévères ?
La question n'est pas d'être trop ou pas assez sévère. Ce qui compte, c'est que les agences évaluent les données économiques et financières, de manière objective, afin d'évaluer correctement le risque. Cela doit se faire selon des règles transparentes, sans conflits d'intérêts. Clairement, ce n'est pas encore le cas.
Les agences aggravent-elles la crise à travers des "prophéties auto-réalisatrices", selon les termes du ministre grec des Finances ?
Oui. Regardez ce qui s'est passé avant la crise. Les agences, dans les années 2000, en donnant des triples A à des institutions financières et des produits qui ne le méritaient pas, ont encouragé les investisseurs à accumuler des risques excessifs et ont retardé les ajustements nécessaires avec les conséquences dramatiques qu'on a pu voir. Maintenant on assiste sans doute au phénomène inverse.
Devraient-elles tenir compte de la dimension politique dans leur méthodologie pour les Etats, particulièrement en période de crise ?
La question n'est pas de vouloir que les agences fassent de la politique. Mais quand un Etat bénéficie d'un programme de soutien international, qu'il est membre d'une union économique et monétaire qui exerce sa solidarité à son égard, il faut bien sur le prendre en compte. Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas aujourd'hui. Dans ces conditions, il faut aussi se poser la question, comme Christine Lagarde l'a fait, de savoir s'il faut permettre les notations souveraines quand un Etat est sous programme international.
Les marchés sont-ils trop dépendants des agences de notation ?
Oui, une des faiblesses du système financier, c'est qu'il accorde trop de place aux notations plutôt qu'à l'évaluation par chaque investisseur des risques qu'il prend. Ceci a deux conséquences: une moindre culture du risque au sein des institutions financières et des effets massifs, en chaîne, lors d'une dégradation ou d'une révision à la hausse. Notre objectif, comme la chancelière allemande Angela Merkel l'a très bien dit récemment, c'est que nous n'accordions pas plus de crédit à ces notes qu'elles ne doivent en recevoir. Il faut les prendre pour ce qu'elles sont: l'avis d'un acteur parmi d'autres. Réduire cette dépendance sera un élément clé de la proposition législative qui nous proposerons cet automne: il faut responsabiliser davantage les investisseurs et les marchés et réduire le recours automatique, dépourvu de tout de sens critique, aux notations.
Il existe d'autres agences, comme la chinoise Dagong, qui attribue une moins bonne note aux dettes des pays industrialisés par rapport à la notation de S&P, Moody's et Fitch. La notation de nouvelles agences ne ferait-elle pas que confirmer la tendance déjà existante ?
Une fois de plus, mon travail n'est pas de dire quelle doit être la note à attribuer à tel ou tel pays. Mais que les agences, lorsqu'elles élaborent leurs notes, le fassent dans les conditions indispensables de sérieux, objectivité et transparence. Je le répète, ne faisons pas l'erreur de considérer ces agences comme omniscientes. Quand elles notent un pays, elles n'ont accès qu'à des données publiques. Elles n'ont pas accès à des informations privilégiées mais aux mêmes informations que tous les autres acteurs de marché.
Pensez-vous comme Ewald Nowotny, gouverneur de la banque centrale autrichienne, que les agences de notation se sont comportées dans la crise européenne de façon "beaucoup plus stricte et agressive que lors d'autres cas similaires en Amérique du Sud" ?
Ce que nous constatons dans cette crise, comme lors de crises précédentes, c'est que les agences n'ont pas su anticiper et alerter sur l'accumulation des risques. Que disaient-elles il y a quatre ans sur le niveau de soutenabilité de la dette grecque? Et à contrario, je ne suis pas certain qu'elles prennent en comptes les efforts de réforme et de consolidation lorsque ceux-ci sont engagés.
Quelles sont les tendances de la consultation publique que vous avez lancée sur la question ?
Cette consultation a eu un très fort écho et a témoigne d'un large soutien sur les principales pistes envisagées par la Commission, en particulier réduire la dépendance vis-à-vis des notations, renforcer les règles qui encadrent la notation des Etats, accroître la diversité et la concurrence dans ce secteur et éliminer les conflits d'intérêt qui subsistent. Par exemple, il y a un consensus pour dire que le niveau de dépendance actuelle est une source de risques pour le système financier même si aucun système alternatif s'impose naturellement. Je crois que nous devons avoir un principe clair à l'esprit: il faut que les investisseurs fassent davantage leur propre travail et se reposent moins sur les notations des agences.
La création d'une agence de notation publique européenne qui figure dans le débat est elle une option ?
C'est une question que j'ai posée car je suis convaincu qu'il faut plus de concurrence et de diversité dans ce marché excessivement concentré. C'est aussi une façon de relativiser la notation donnée par chaque agence à ce qu'elles sont. Les points de vue sont très divergents sur cette question. Et naturellement, toute proposition devra, pour être crédible, éviter tout risque de conflits d'intérêt.
Que comptez-vous faire pour "désintoxiquer" l'Union européenne et la BCE pour ce qui concerne l'application des règles prudentielles et le choix du collatéral au sein de la BCE ?
Vous mettez le doigt sur un véritable problème. Nous avons accordé trop de place, y compris dans des règles européennes, aux notations. Nous travaillons avec mes équipes à une remise à plat pour réduire au maximum, et si possible, supprimer la référence aux notes dans les règles prudentielles. Les Etats-Unis ont pris une décision semblable. Elle pose néanmoins des questions compliquées, notamment en ce qui concerne des méthodes alternatives d'évaluation des risques pour les petits investisseurs. Nous finalisons nos études techniques et feront des propositions dans les mois qui viennent.
Tout cela sera-t-il suffisant?
Il faut distinguer le thermomètre et la fièvre. Le thermomètre doit mieux fonctionner. Mais ce qui compte encore plus, c'est que les Etats fassent les efforts nécessaires de redressement de leurs finances publiques, et réalisent les réformes structurelles essentielles pour retrouver la compétitivité. L'Europe est sur le bon chemin - mais ce n'est pas le moment de relâcher les efforts.
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