François Hollande a perdu quelques kilos superflus et troqué son espièglerie familière contre la gravité qui sied à un candidat putatif à l'élection présidentielle. Mais il n'a rien perdu de son œil politique et de son sens de la formule. Celle-ci, par exemple, pour qualifier les palinodies au sommet de l'Etat au lendemain du premier tour des cantonales : "Une crise d'autorité".
L'essentiel est dit, effectivement. Semaine après semaine, presque jour après jour, le président de la République ne semble plus en mesure d'exercer toute l'autorité qui devrait être la sienne. L'on peine parfois à y croire, tant Nicolas Sarkozy s'était imposé, en 2007, comme le chef incontesté de son camp. C'est pourtant la réalité, dont les cantonales sont le révélateur impitoyable.
Le chef de l'Etat a d'abord perdu sa souveraineté absolue sur le gouvernement. En novembre 2010, déjà, il avait tant tardé à remanier son équipe, tant hésité à en changer le capitaine, qu'il avait fini par se voir, peu ou prou, imposer par "sa" majorité parlementaire le maintien de François Fillon à Matignon. Au regard des institutions de la Ve République, c'était une singulière innovation, autant qu'un signe de faiblesse.
L'entre-deux-tours des cantonales a accentué le trait. M. Sarkozy avait clairement fixé la stratégie, le 10 mars, avec l'équipe dirigeante de l'UMP. "Aucune alliance n'est possible avec le Front national", avait-il martelé; mais, face au Front national, il avait exclu tout désistement d'un membre de la majorité au profit d'un candidat de gauche. Dès les résultats du 20 mars connus et la menace du FN confirmée, la consigne – pourtant réitérée – a volé en éclats. Pas à l'initiative de quelque sous-secrétaire d'Etat en quête d'un quart d'heure de célébrité. Mais tout simplement du premier ministre, qui a appelé le 21 mars, en cas de duel entre le Parti socialiste et le Front national, à "voter contre le FN".
Les contorsions qui ont suivi pour rabibocher l'Elysée et Matignon n'ont trompé personne : François Fillon n'assume pas pleinement le coup de barre à droite donné par le président de la République depuis l'été 2010. Il redoute que cette attitude provoque l'effet inverse de l'effet voulu: en clair, un "21 avril à l'envers", qui verrait le candidat de la droite éliminé au soir du premier tour de l'élection présidentielle. Le moins qu'on puisse dire est que cela ne témoigne pas d'une confiance à toute épreuve dans la capacité du président à se faire réélire en 2012.
Il n'est pas seul. De manière plus ou moins explicite, plusieurs ministres, et non des moindres, se sont également démarqués du présidenten appelant à faire barrage au FN : Alain Juppé, Roselyne Bachelot, François Baroin, Valérie Pécresse, Nathalie Kosciusko-Morizet, Laurent Wauquiez. Au point d'obliger le chef de l'Etat, au conseil des ministres qui a suivi, à un rappel à l'ordre pincé sur la nécessité de jouer "collectif". Qu'une telle mise en garde soit nécessaire en dit long.
Ce qui est vrai du gouvernement ne l'est pas moins de la majorité parlementaire. Menée à la baguette depuis quatre ans, elle a fini par se lasser et par ruer dans les brancards. Nicolas Sarkozy en a fait les frais début mars. La droite modérée – notamment les centristes, qui avaient, pour une fois, surmonté leurs querelles picrocholines – a obligé le gouvernement à renoncer à légiférer sur la déchéance de la nationalité, lors de l'examen du projet de loi sur l'immigration. Déjà rejetée par la majorité sénatoriale, cette disposition était pourtant l'une des mesures phares du discours du chef de l'Etat à Grenoble, en juillet 2010.
Une rébellion similaire est désormais prévisible, en avril, si Nicolas Sarkozy s'entête à vouloir supprimer complètement l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Cette fronde-là a démarré il y a un an, après la lourde défaite de la majorité aux élections régionales. Plusieurs caciques de l'UMP avaient réclamé la suspension du "bouclier fiscal", instauré en juillet 2007, et qui, la crise aidant, apparaît comme un cadeau difficilement défendable fait aux contribuables les plus fortunés.
Le chef de l'Etat avait, alors, catégoriquement refusé, avant d'admettre, fin 2010, qu'il n'avait guère le choix. Mais, pour masquer son renoncement à une des mesures emblématiques du début de son quinquennat, il avait annoncé une réforme plus large de la fiscalité du patrimoine, et notamment la suppression de l'ISF, plutôt que son simple toilettage. Depuis, bien des responsables de la majorité ont expliqué qu'une telle mesure serait budgétairement impraticable et politiquement risquée. Voilà le président prévenu: s'il s'obstine, la majorité ne le suivra pas.
C'est enfin la droite elle-même sur laquelle Nicolas Sarkozy a perdu son ascendant. Pour l'emporter en 2007, il avait brillamment réussi à rassembler derrière lui toutes les familles de son camp, ou presque: les néogaullistes et une bonne partie des centristes, les bonapartistes et les orléanistes, les libéraux et les populistes, à quoi il avait ajouté, à l'été 2009, les souverainistes de Philippe de Villiers et les "chasseurs", toujours bons à enrôler.
Le style du président et son perpétuel activisme, la crise économique, l'usure du pouvoir, les revers électoraux des deux dernières années: tout a contribué à mettre à bas ce bel échafaudage. Et à placer désormais Nicolas Sarkozy devant un redoutable dilemme : s'il penche trop à droite, il s'aliène les modérés que rêve de fédérer Jean-Louis Borloo ; s'il veut ménager le centre, c'est Marine Le Pen qui menace de rafler de gros bataillons de l'électorat populaire.
L'UMP elle-même porte de plus en plus mal son nom : l'union est chaque jour un peu plus de façade ; le mouvement est paralysé; quant au qualificatif de populaire, les cantonales ont démontré cruellement sa fragilité. Sur un socle aussi branlant, le temps commence à manquer pour espérer restaurer une autorité de plus en plus contestée.
Gérard Courtois (Chronique "France")
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