mercredi 27 juin 2012

Pourquoi la hausse du smic coûtera-t-elle à l'Etat ?


Source : Le Monde


Un Français sur cinq touche un salaire proche du smic.


La hausse du salaire minimum sera limitée. Le gouvernement Ayrault devaittrancher entre son aile gauche et les syndicats, qui réclamaient un "coup de pouce" consistant, et Bercy, qui craignait un coût financier important. Il a choisi la "raison", avec une hausse de 2 %, dont 1,4 % dus à l'inflation, soit 0,6 % de "coup de pouce" véritable.


Mais pourquoi ces arbitrages ? Et pourquoi la hausse du smic aurait-elle un coût pour l'Etat ? Dans les commentaires, vous avez été très nombreux à vous poserces questions et à réagir à une décision que vous êtes nombreux à juger injuste. Voici quelques éléments pour mieux comprendre.

1/ Qu'est-ce que le smic et comment est-il calculé ?

Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (smic) correspond au salaire horaire minimum en France. Il a succédé en 1970 au smig (salaire minimum interprofessionnel garanti) qui existait depuis 1950. On ne peut, sauf exception, pas rémunérer quelqu'un en dessous de ce salaire en France.
Le smic est revalorisé chaque année (au 1er janvier depuis 2010) en fonction de la hausse de l'indice des prix à la consommation et de la moitié de la croissance dupouvoir d'achat du salaire horaire de base ouvrier. Par ailleurs, dès que l'inflation (la hausse des prix) est supérieure à 2 % en cours d'année, le smic est automatiquement augmenté d'autant.
Actuellement, le smic horaire est de 9,22 euros brut de l'heure, soit 1398,37 euros mensuels pour un salarié aux 35 heures. Ce qui correspond, en net, à 7,23 euros de l'heure et à 1 096,94 euros par mois (pour 35 heures par semaine), ou encore 13 163,28 euros par an.  Avec la hausse de 2 %, le smic horaire va passer à 9,40 euros brut, soit 1 425,67 euros brut par mois pour 35 heures par semaine, ou 1 118 euros net.

2/ Combien de salariés touchent le salaire minimum ? 

Selon l'Insee [Institut national de la statistique et des études économiques], en 2011, 10,6 % des salariés français étaient rémunérés au smic, soit environ 1,8 million de personnes. Le taux varie fortement suivant les secteurs d'activité : l'hôtellerie restauration emploie par exemple 35 % de personnes payées au salaire minimum. Ils sont également 16,4 % dans le secteur de la santé et de l'action sociale.
On note aussi une nette surreprésentation des smicards parmi les salariés à temps partiel : 25,2 %. Car si on parle de 1 100 euros net par mois pour un smicard, ce n'est vrai que s'il est à temps plein. Or, nombre de secteurs proposent de plus en plus fréquemment des contrats à temps partiel (22 heures, par exemple), notamment dans les services et la grande distribution. Selon une étude de l'Insee, en 2007, 6 % des salariés français vivaient au-dessous du seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian, fixé à 954 euros par mois.
Si on élargit un peu le spectre, on note que 10,6 % est un chiffre trompeur : il correspond aux personnes rémunérées du montant exact du smic. Mais, toujours selon l'Insee, la part de population vivant avec un revenu voisin du salaire minimum est bien plus importante : 40 % des individus ayant un revenu touchent moins de 15 540 euros par an.

3/ Le smic français est-il vraiment élevé par rapport à ses équivalents européens ?

Tous les pays d'Europe ne disposent pas d'un salaire minimum s'appliquant à tous les métiers. L'Allemagne, par exemple, n'en a pas, même si les syndicats le réclament de plus en plus fréquemment.
Mais parmi les pays dotés de l'équivalent du smic, la France est effectivement dans le peloton de tête, loin devant le Royaume-Uni, par exemple (1 201,96 euros brut par mois), comme on peut le constater sur ce graphique. Une fois revalorisé, le smic français devrait être le salaire minimum le plus élevé d'Europe, après celui du Luxembourg.
Une étude d'Eurostat montre par ailleurs que le smic français est aussi l'un des plus élevés en parité de pouvoir d'achat, c'est-à-dire comparativement au niveau de vie ; ou encore en pourcentage du salaire moyen. L'impact concret de ce niveau élevé est que le travail le moins qualifié est plus cher en France que dans les autres pays européens. Ce qui augmente le risque de délocalisation de ces emplois peu qualifiés.

4/ Pourquoi une hausse du smic coûte-t-elle à l'Etat ?

Deux raisons expliquent cela : d'une part, l'Etat est un employeur important. Et il rémunère une partie de ses agents au salaire minimum : 890 000 personnes sont dans ce cas. De fait, une hausse du salaire minimum signifie que l'Etat employeur doit débourser plus pour payer ces agents. Selon le député UMP Gilles Carrez, spécialiste du budget, 1 % de hausse équivaut à 300 millions d'euros supplémentaires. La hausse de 2 % signifie 600 millions d'euros de salaires en plus.
Ensuite, la hausse du smic a un impact sur les baisses de charges. La France mène depuis des décennies une politique d'exonération de charges sur les bas salaires, destinée notamment à compenser le niveau élevé du smic français en Europe. L'Etat ne perçoit donc pas de cotisations sociales sur les salaires au niveau du smic et jusqu'à 1,6 fois ce dernier et cela représente un manque àgagner, puisque l'Etat doit reverser la différence à la sécurité sociale, en compensation. Hausse du smic signifie donc hausse de ce manque à gagner. Selon un rapport de l'inspection des finances, cité par Les Echosun coup de pouce de 1 % équivaut à 800 millions d'euros supplémentaires.

5/ La hausse du smic détruit-elle vraiment des emplois ?

La question est polémique, mais fait l'objet d'un consensus chez les économistes.Augmenter le smic oblige les employeurs à augmenter les salaires à ce niveau, c'est certain. Ce qui représente une charge supplémentaire et peut les conduire àdevoir licencier. Il est difficile, cependant d'établir un ratio mécanique "x % de hausse du smic = y destructions d'emplois".
L'étude de référence sur le sujet est celle de Francis Kramarz. Il a effectué en 2001 une comparaison France/Etats-Unis qui montre qu'une hausse de 1 % du salaire minimum, détruit l'emploi de 1,5 % des smicards. Il se base notamment sur l'impact sur l'emploi des exonérations de charges qui sont progressivement étendues au cours des années 1990. "Ces baisses ont permis de mesurerexactement l'impact du coût du travail sur l'employabilité des salariés concernés", estime-t-il.
Paul Champsaur, président du groupe d'experts sur le smic, défend lui aussi ces résultats, "même s'il faut nuancer : une hausse du smic peut créer des emplois si le salaire minimum est très bas, en créant plus d'incitation à travailler, comme le cas américain l'a montré. Mais la France a un des smic les plus elevés de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]."

L'économiste Henri Sterdyniak, de l'office français des conjonctures économiques (OFCE) et membre du collectif des "atterrés", s'il est plus nuancé, ne donne pas tort à M. Kamarz. "Ses études sont fiables", consent ce partisan d'un coup de pouce "limité". "Mais il y a eu plus de 600 000 emplois détruits depuis 2007 sans aucun coup de pouce au smic", rappelle-t-il.
Selon un conseiller ministériel, "les données de ces études ne sont pas contestables", même s'il juge que les chiffres "mériteraient d'être détaillés par secteur", car "une hausse du smic n'a pas le même impact pour les emplois des secteurs soumis à la concurrence internationale et ceux protégés." 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire