mardi 8 février 2011

Les magistrats, en colère contre Nicolas Sarkozy, se mobilisent


C'est le premier jour d'une grève historique des audiences en France. Des centaines de magistrats se sont rassemblés, lundi 7 février, pour exprimer leur colère contre Nicolas Sarkozy et décider d'un report des audiences dans une quinzaine de tribunaux, dans un mouvement d'une ampleur inédite, point culminant d'années de tensions entre le président et le monde judiciaire.

Cause de cette fronde inédite : des propos tenus jeudi par Nicolas Sarkozy, qui a accusé la justice de porter une part de responsabilité dans le meurtre de la jeune Laëtitia Perrais, pour lequel le suspect est un délinquant récidiviste. Nicolas Sarkozy a ainsi affirmé que des "dysfonctionnements graves" des services de police et de la justice avaient permis la remise en liberté sans suivi du suspect, Tony Meilhon, et promis des sanctions.

L'affaire prend tant d'ampleur que le premier ministre, François Fillon, s'est entretenu lundi après-midi à Matignon des "suites de l'affaire" avec les ministres de la justice, Michel Mercier, et de l'intérieur, Brice Hortefeux. Il a qualifié de "réaction excessive" le mouvement de protestation des magistrats et les a appelés "à la responsabilité".

"MOBILISATION SANS PRÉCÉDENT"

Les magistrats de Nantes, juridiction où a eu lieu le meurtre, avaient immédiatement réagi aux propos du président en interrompant les audiences. Depuis, seize juridictions leur ont emboîté le pas, l'Union syndicale des magistrats (USM, premier syndicat) appelant à suspendre les audiences partout en France jusqu'à un mouvement national prévu jeudi. De son côté, le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) a appelé à un arrêt de travail à partir de jeudi, démarche inédite dans la magistrature qui n'a pas le droit de grève.

Des assemblées générales ont eu lieu lundi dans une quarantaine de juridictions pour décider des actions à mener et l'activité a tourné au ralenti dans certains palais de justice. Une centaine d'assemblées générales sont prévues d'ici la fin de la semaine, signe d'une "mobilisation sans précédent", estime Virginie Valton, vice-présidente de l'USM.

Evénement rarissime, même les éminents magistrats de la Cour de cassation, plus haute instance judiciaire du pays, songent à se joindre au mouvement de protestation. Vendredi, les deux principaux syndicats ont ainsi demandé au premier président, Vincent Lamanda, de convoquer "en urgence" une assemblée générale de concertation. Selon une source judiciaire, les membres tant du siège que du parquet général disent dans leur courrier à M. Lamanda souhaiter réagir aux "récentes attaques contre les magistrats et les fonctionnaires de justice", à "l'occasion du mouvement de protestation nationale".

MANQUE DE MOYENS

Même si le ministre de la justice, Michel Mercier, a tenté d'apaiser les choses en assurant que Nicolas Sarkozy n'avait pas mis en cause les magistrats "dans leur globalité", pour les juges, c'en est trop. Car cette dernière attaque intervient à la suite de nombreuses autres critiques de Nicolas Sarkozy à l'égard des juges, régulièrement accusés de manquer de sévérité à l'occasion de faits divers retentissants.

Les magistrats dénoncent quant à eux le manque de moyens dont ils disposent — le budget français de la justice est parmi les plus faibles en Europe, par habitant —, de la diminution des effectifs, et des atteintes à leur indépendance. Ainsi, sur le dossier Meilhon, les syndicats nient toute faute. Le suspect n'a pas été "libéré" par un magistrat, il avait purgé durant onze ans toutes ses peines, sans réduction, et devait respecter, dans le cadre d'une dernière condamnation pour outrage à magistrat, une "mise à l'épreuve". Son suivi n'a pas été appliqué faute d'effectifs : il n'y a en effet que 3 juges d'application des peines à Nantes et 17 agents de probation pour suivre 3 300 détenus.

LE JUGE TRÉVIDIC ATTAQUE NICOLAS SARKOZY

Lundi, Marc Trévidic, juge d'instruction antiterroriste et président de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI), a reproché au chef de l'Etat de trahir son rôle constitutionnel et de mener une politique judiciaire mensongère, voyant une manœuvre "politique" dans les critiques adressées au système judiciaire par Nicolas Sarkozy.

Sur France Info, le président de l'AFMI l'a accusé d'avoir fait voter de multiples lois sans jamais donner les moyens au système de travailler. "Il n'y a aucune politique à long terme, il n'y a que de l'affichage, que du pipeau, pour parler clairement", a-t-il dit. "Je pense qu'il est largement temps de lui appliquer la peine plancher, puisqu'il faut être très dur envers les multirécidivistes", a ironisé le juge. "Cela fait des années qu'on dit qu'on n'a pas les moyens de fonctionner normalement, cela ne date pas de Nicolas Sarkozy", a admis le juge. Mais la différence, c'est que maintenant, "en plus, c'est de notre faute".

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