mercredi 24 février 2010

Portrait des nouveaux sages (Sources : Le Monde)


Jacques Barrot, un centriste pétri d'Europe


A 73 ans, Jacques Barrot, dont la nomination au Conseil constitutionnel a été officialisée mercredi 24 février, a traversé plus de quatre décennies de vie politique. Réputé pour son engagement européen, il est l'une des figures symboliques de la Démocratie chrétienne, dont il a suivi toutes les vicissitudes : du Centre démocratie et progrès (CDP) à l'UDF, en passant par le Centre des démocrates sociaux (CDS) avant de devenir un des artisans de l'intégration d'une partie de l'UDF dans l'UMP.


Ce licencié en droit, né le 3 février 1937 à Yssingeaux (Haute-Loire), est entré en politique en héritant de la circonscription de son père, Noël Barrot, décédé en cours de mandat. Lorsque, le 3 avril 1967, il est élu député de la Haute-Loire, il devient le benjamin de l'Assemblée nationale. Trente-sept ans plus tard, en 2004, il quitte le Palais-Bourbon direction Bruxelles, où il est nommé vice-président de la Commission européenne, chargé notamment des affaires de justice. Son mandat a pris fin en février 2010.


Avant de rejoindre Bruxelles, M. Barrot présidait le groupe UMP de l'Assemblée nationale, qui détenait une très confortable majorité absolue après la réélection de Jacques Chirac en 2002, mais où cohabitaient des sensibilités peu habituées à travailler ensemble. Son œcuménisme faisait merveille pour désamorcer les conflits.


Au cours de sa carrière, M. Barrot a aligné une impressionnante collection de titres, mandats et fonctions politiques : conseiller municipal puis maire d'Yssingeaux, de 1965 à 2001; conseiller général puis président du conseil général de la Haute-Loire, de 1966 à 2001, avant d'en redevenir simple conseiller général jusqu'en 2008; membre des gouvernements de Jacques Chirac et de Raymond Barre, de 1974 à 1981, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, puis d'Alain Juppé, de 1995 à 1997, sous celle de M. Chirac.


Professionnel de la politique, européen convaincu, catholique pratiquant – il fut très impliqué dans les mobilisations en faveur de l'école privée, en 1984, ou dans le débat sur la laïcité à l'école, autour de la question du voile et des signes religieux –, Jacques Barrot se rêvait en "sage" pour finir sa carrière. Sa nomination consacre un des derniers "dinosaures" de la Ve République.




Charasse, gardien du pouvoir


Il avait fini par ne plus y croire et, plein de fureur, était reparti ronchonner dans son coin. Et puis, mardi en fin de matinée, Nicolas Sarkozy l'a appelé : "Finalement, je suis parvenu à mes fins. Tu es le meilleur. Tu iras au Conseil constitutionnel." Et Michel Charasse a retrouvé cette allure joviale qui est son bouclier le plus efficace.


Il attendait cet adoubement depuis longtemps. Le jour où ils en ont parlé la première fois, Nicolas Sarkozy n'était même pas encore élu. La France entrait dans l'entre-deux-tours de la présidentielle, et Michel Charasse avait convié, le 27 avril 2007, le candidat UMP dans sa mairie de Puy-Guillaume, au cœur de l'Auvergne.


Quelques jours auparavant, Jean-Marie Le Pen avait dénoncé en ciblant Nicolas Sarkozy, "un candidat venu de l'immigration", et Charasse s'était étonné que la gauche ne réagisse que mollement. Tout le monde regardait donc l'ancien mitterrandiste donner l'accolade à celui qui faisait la course en tête.


Ségolène Royal pouvait toujours courir pour obtenir la même faveur : "J'ai tout de même voté pour elle, rit-il aujourd'hui, mais ça m'a coûté !"


Ce que personne ne vit, ce jour-là, ce fut cet hameçon en forme de rêve que le futur président lança vers lui : "Et le Conseil constitutionnel ? Ce serait bien que tu y ailles…" Michel Charasse releva ses lunettes, réfléchit une seconde avant d'avouer : "Oui, cela m'intéresse."


Quelques jours plus tard, Nicolas Sarkozy entrait à l'Elysée. Depuis, Michel Charasse n'a plus cessé d'y penser. Lors de ses pêches légendaires au lac Chauvet, lorsqu'il retrouve de vieux Auvergnats qui taquinent avec lui l'omble chevalier. Lors de ses chasses à Chambord où il côtoie les affidés de tous les pouvoirs.


"CELA FAIT LONGTEMPS QU'IL JOUE SA CARTE PERSONNELLE"


Déjà, en 1994, François Mitterrand avait caressé pour lui la même idée. Robert Badinter devait quitter le Conseil en mars de l'année suivante et c'était la dernière chance du président socialiste de nommer un homme de gauche avant de quitter l'Elysée.


Michel Charasse, licencié en droit et diplômé de Sciences Po, était depuis 1981 son conseiller sur les questions constitutionnelles. Il avait 54 ans. Il fit ses calculs. S'il entrait au Conseil constitutionnel, il en sortirait à 63 ans, sans plus aucun mandat électif. Un enterrement de première classe.


Il déclina l'offre et François Mitterrand nomma Roland Dumas en soupirant ces quelques mots : "Tous les chefs d'Etat ont leur Talleyrand. Le mien, c'est Dumas." Mais maintenant, qu'il a "68 ans et demi", dit-il comme un enfant, c'est une belle fin de carrière.


Cela ne le préoccupe pas d'avoir été porté là par la volonté de Nicolas Sarkozy. Lui qui s'était inscrit à 21 ans à la SFIO, il s'est largement éloigné des socialistes depuis que le PS l'a exclu en 2008 pour avoir soutenu un candidat dissident à la présidence du conseil général du Puy-de-Dôme.
"Cela fait longtemps qu'il joue sa carte personnelle, assure un cadre du parti. Il a connu le cœur du pouvoir avec Mitterrand. Il est prêt à se rapprocher de Sarkozy pour y rester."


La droite, elle, a appris depuis longtemps à le connaître. Son goût de la chasse, des cigares, son provincialisme affiché et sa détestation de "tous les glandus de Parisiens qui ne savent pas conduire dans Paris dès qu'il y a trois grains de neige", ses interventions tranchées au Sénat lui ont valu une certaine popularité.


Personne n'ignore sa camaraderie avec le ministre de l'intérieur Brice Hortefeux, "un copain dans mon département", dit-il. Quant au président… Il le connaît depuis la cohabitation de 1993, lorsque Nicolas Sarkozy lui succéda quasiment au ministère du budget, une fois la droite arrivée à Matignon : "Il était l'homme de Balladur, j'étais, avec Védrine, celui de Mitterrand. Nous sommes devenus tout naturellement amis."


Pendant deux ans, ils ont déjeuné ensemble presque chaque semaine dans le petit appartement de fonction dont disposait Michel Charasse à l'Elysée. La période était délicate. François Mitterrand luttait contre son cancer. Il n'était alors pas rare que Michel Charasse passe la nuit au cœur du palais avec, posé à côté de son lit, un petit téléphone blanc le reliant directement à l'appartement présidentiel.


Combien d'heures a-t-il passé à conjurer la mort qui rôde en philosophant avec François Mitterrand qui, lorsqu'il dormait parfois à l'Elysée, se réveillait, pris par de terribles crises d'angoisse ?


En somme, Nicolas Sarkozy a compris depuis longtemps qu'il tenait avec Michel Charasse, non seulement un amateur de la complexité mitterrandienne, mais aussi un politique capable de conjuguer pouvoir et droit. Une forte personnalité aussi. Derrière son style Almanach Vermot, Charasse est un laïque militant. Du genre à rester à la porte des églises même pendant un enterrement.


C'est aussi un jacobin qui a voté en 2008 contre la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Et un ardent défenseur du pouvoir présidentiel et du statut pénal du chef de l'Etat. Il est ainsi l'un des rares à avoir dénoncé, en décembre, le renvoi en correctionnelle de Jacques Chirac.


A Bercy, les fonctionnaires se souviennent encore que ce bon connaisseur de la loi fiscale pouvait d'un geste épargner un gros contribuable ou au contraire déclencher contre lui un contrôle dévastateur. Ce mélange-là peut-il créer des remous parmi les "sages" ? "Cela mettra au moins un peu d'ambiance", assure un haut fonctionnaire du Conseil.


Ce connaisseur intime du pouvoir n'a cependant jamais hésité lorsqu'il lui fallait trancher entre la vérité et l'intérêt politique. C'est lui que François Mitterrand avait chargé dès 1987 de trier ses archives. Charasse passa ainsi des années à consulter, classer ou détruire dans sa broyeuse des milliers de papiers afin de conserver les secrets et d'éliminer les médiocrités qui pourraient entacher la légende mitterrandienne.


"PAS DE SERMENT D'ALLÉGEANCE À L'ÉGARD DU PRÉSIDENT"


Depuis qu'il aspire à rejoindre le Conseil constitutionnel, Michel Charasse a déjà préparé sa succession politique dans le Puy-de-Dôme. L'Auvergne gardera cependant un Charasse : Gérard, son cousin, est député de l'Allier. Il a aussi entrepris de lire le compte rendu des débats du Conseil, de 1958 à 1983, que son président, Jean-Louis Debré, a fait publier. Le fils d'employé de l'imprimerie de la Banque de France a pu y constater, assure-t-il, "que ceux que l'on aurait pu croire les plus fieffés réactionnaires ont un grand sens de l'intérêt général".


Il a aussi regardé attentivement le parcours des autres membres du Conseil. Il retrouvera là, notamment, Valéry Giscard d'Estaing, compagnon d'Auvergne, Jacques Chirac, côtoyé depuis la première cohabitation en 1986, Jean-Louis Debré vingt fois rencontré, ou Renaud Denoix de Saint-Marc avec lequel il chasse.


Il sera alors le seul à venir de la gauche. Cela l'amuse et le flatte. Le Parti socialiste ne se fait pourtant pas d'illusion. Michel Charasse n'a cessé d'affirmer, ces dernières années, que le PS n'était ni assez laïque ni assez républicain pour lui.


Il ne sera sûrement pas son représentant ni même son informateur au Conseil. Il assure qu'il "n'a pas non plus prononcé de serment d'allégeance à l'égard du président". Et lorsque les sarkozystes tentent de le sonder sur ses fidélités, il rétorque en riant : "Je vous jure que la France n'aura pas à se plaindre de moi…"




Hubert Haenel, gaulliste, pro-européen et décentralisateur


Avec Hubert Haenel, 67 ans, ce n'est pas seulement un ancien sénateur qui entre au Conseil constitutionnel. C'est aussi un fin juriste, ancien membre du Conseil d'Etat, dont il est issu avec le grade de maître des requêtes.


Ce gaulliste né le 20 mai 1942 à Pompey (Meurthe-et-Moselle) a un parcours atypique. Avant de sortir major de l'Ecole nationale de la magistrature, il avait démarré sa vie professionnelle comme facteur. A partir de 1973, il fait carrière dans les cabinets ministériels avant d'exercer la fonction de secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature.


En 1986, il est élu sénateur (UMP) du Haut-Rhin et se fera réélire à chaque élection. Président de la commission des affaires européenne du Sénat, il fait partie de ces dignitaires qui font et défont les carrières au Palais du Luxembourg. En 1998, il avait été un de ceux qui avaient fait chuter le président sortant René Monory pour installer Christian Poncelet. Dix ans plus tard, il aura été un des artisans de l'ascension de Gérard Larcher. Ce dernier lui en sait gré.


Hubert Haenel est une personnalité joviale, membre de l'association des Amis des bistrots. Il a trois domaines de prédilection : le judiciaire, le ferroviaire et l'Europe. Sans doute en raison de ses racines et son implantation sur les terres centristes de l'Alsace où il était depuis 1992 vice-président du conseil régional, son positionnement, au sein du RPR puis de l'UMP, a toujours été original.


A la fois pro-européen et décentralisateur. Depuis 1999, c'est à l'Europe qu'il a consacré l'essentiel de son activité. Il fut un des membres les plus actifs de la
Convention chargée d'élaborer la charte européenne et de la Convention pour l'avenir de l'Europe. Il a rédigé de nombreux ouvrages visant à approfondir le lien entre la France et l'Europe. Il est également vice-président du conseil de direction du Cercle des constitutionalistes.
Le départ d'Hubert Haenel libère une quantité non négligeable de postes à redistribuer au sein de l'institution. Outre la présidence de la commission des affaires européennes, il présidait également le groupe France-Saint-Siège et était membre de la Cour de justice de la République.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire