mardi 3 juillet 2012

Discours de politique générale du Premier Ministre Jean Marc Ayrault


La précédente législature s'était achevée dans un climat de haute tension, en période préélectorale. L'ouverture de cette session extraordinaire, mardi 3 juillet à l'Assemblée nationale, avec la déclaration de politique générale de Jean-Marc Ayrault, a été tout aussi électrique.


Elle a failli commencer par un grave accident, évité de justesse, quand une des lourdes caméras de retransmission des séances installée dans un des "guignols"surplombant l'entrée dans l'Hémicycle, a basculé et manqué passer par dessus la rambarde au moment où un député passait dessous. Grosse frayeur.
La séance a débuté par une minute de silence en hommage à Olivier Ferrand, jeune député socialiste élu dans les Bouches-du-Rhône, décédé samedi 30 juin. Passé ce moment d'unanimité, les hostilités n'ont pas tardé à reprendre

HUÉES, LAZZIS ET BRONCAS, INTERPELLATIONS ET MIMIQUES...

Est-ce parce que, pendant vingt-six ans, Jean-Marc Ayrault a siégé au Palais-Boubon avant d'être nommé à la tête du gouvernement, toujours est-il que c'est sans le moindre égard pour sa fonction que la droite, repassée dans l'opposition, s'est évertuée à torpiller sa déclaration. Huées, lazzis et broncas, interpellations et mimiques... tout le registre d'une séance de questions ordinaire, c'est-à-dire passablement chahutée, y est passé.
L'UMP semblait décidée à marquer son "opposition résolue" par le niveau sonore de ses cris et ricanements. Ce n'est pas forcément ce qui était attendu d'un débat de politique générale posant les bases de la législature.
Tout au long de sa déclaration, le premier ministre aura eu à cœur de réaffirmer, sans fioritures, sa "feuille de route" – "conduire le redressement de notre pays dans la justice" –, sans cacher que "l'effort sera rude". Le discours empruntait largement aux thématiques développées durant sa campagne par François Hollande, sans forcément apporter les éclairages que l'on pouvait être en droit d'attendre de la part du chef du gouvernement.

REFUS DE LA PRÉCIPITATION

Celui-ci s'en est remis aux "concertations" qui vont s'ouvrir, dans de nombreux domaines – école, social, environnement, collectivités territoriales, etc. –, pourreporter certaines décisions ou arbitrages attendus. Le discours de la méthode, en l'occurrence, c'était celui du refus de la précipitation. "Les Français ne nous ont pas élus pour gouverner cent jours mais cinq ans", a lancé M. Ayrault.
En revanche, dès qu'il a réaffirmé sa volonté d'aller jusqu'au bout de certaines réformes institutionnelles ou de société promises par M. Hollande – comme le droit de vote des étrangers aux élections municipales, l'introduction de la proportionnelle aux législatives ou la limitation du cumul des mandats, le droit pour les couples homosexuels de se marier – il a immédiatement déclenché de virulentes réactions sur les bancs de la droite.

"NE PAS TOUCHER À L'HÉRITAGE DU GÉNÉRAL DE GAULLE"

Un peu plus tard, intervenant au nom du groupe UMP, Christian Jacob "conjurait"le premier ministre de "ne pas toucher à l'héritage du général de Gaulle : le scrutin majoritaire et le cumul des mandats".
Le président du groupe UMP a dénoncé les "20 milliards d'euros déjà dépensés pendant la campagne""Vous ne nous ferez pas le coup de l'ardoise cachée, vousne nous ferez pas le coup de l'héritage", a-t-il fustigé à l'adresse de "la majorité de gauche et d'extrême gauche, une armée protéiforme, un attelage de bric et de broc""Vous sollicitez notre confiance, vous ne l'aurez pas", a-t-il conclu.

"PREMIERS RENIEMENTS [...] SALUTAIRES"

Jean-Louis Borloo, le président du groupe de l'Union des démocrates et indépendants (UDI), s'est montré, lui, plus réservé, se félicitant, au contraire des"premiers renoncements" et des "premiers reniements" du gouvernement de M. Ayrault, les jugeant "en réalité salutaires""Merci d'accepter la ratification du traité européen dans les termes exacts que refusait le candidat Hollande avant d'être président, a relevé le président du parti radical. Merci d'inscrire la règle d'or dans un prochain débat au Parlement."
Cela ne suffisait pas, cependant, à ses yeux, pour justifier un vote de confiance."J'ai eu le sentiment, monsieur le premier ministre, que vous n'aviez vous-même pas tout à fait confiance en vous, a souligné M. Borloo. Vous invoquez une confiance que vous ne nous transmettez pas."
Pas plus qu'aux députés du Front de gauche, mais pour des raisons symétriquement inverses. A l'image de leur président, André Chassaigne, ils ont vu dans les résultats du sommet de Bruxelles les premiers indices d'"une capitulation qui n'augure rien de bon""C'est parce que nous voulons réussir le changement que nous ne pouvons approuver cette déclaration", a conclu le député (PCF) du Puy-de-Dôme. Tandis que les écologistes et les radicaux de gauche, eux, ont joint leurs voix à celles du groupe socialiste.

"DISCOURS SOPORIFIQUE ET INCROYABLEMENT LONG"

Déjà, certains avaient quitté l'hémicycle au bout d'une heure de discours. Mais quand M. Ayrault a prononcé les derniers mots de sa déclaration de politique générale, c'est toute la droite qui s'est levée comme un seul homme pour quitterl'Hémicycle. "J'avais besoin de prendre l'air, comme tous ceux qui avaient été effondrés par ce discours, soporifique et incroyablement long", s'est justifié Pierre Lellouche, député (UMP) de Paris.
Environ 1 h 40 de discours, c'est long, certes, mais un peu moins que les 1 h 45 de Juppé en 1995 et que les 2 heures d'Edouard Balladur en 1993 – le record à ce jour. "Lent, long, laborieux, pas clair : c'est du Hollande en moins bien", taclait encore Eric Woerth, député (UMP) de l'Oise. "J'espérais entendre des mots courageux, j'ai entendu un premier ministre prisonnier d'une vision franco-française, assez idéologique et n'annonçant aucune réforme courageuse", déplorait également un Jean-François Copé "très déçu".
Mêmes remarques, au mot près, chez Hervé Mariton, qui dénonçait "des grandes phrases, mais pas une seule réforme courageuse". Et de décrier, à l'image de la droite pendant la campagne présidentielle, une forme d'imprécision : "Sur le fond, c'est extrêmement flou. Sur la forme, c'est d'un poussif inédit", estimait le député (UMP) de la Drôme, pour qui "ça manque singulièrement de souffle, on n'en sait pas plus qu'il y a quelques semaines".
Elu UMP de la Haute-Marne, Luc Chatel, pour sa part, puisait chez La Fontaine des éléments de critique : "La cigale ayant chanté toute la campagne, se trouva fort dépourvue quand le masque fut tombé. La majorité a applaudi debout un premier ministre qui annonce le matraquage fiscal !"

SURJOUER "L'INQUIÉTUDE"

Dans la salle des Quatre-Colonnes, bruissante de journalistes comme pour les grands jours, le mot d'ordre des députés de droite était de surjouer "l'inquiétude". Mais pas par rapport à la perquisition ayant eu lieu le matin même chez Nicolas Sarkozy, sujet que ces élus esquivaient soigneusement. "C'est vous qui me l'apprenez. C'est à propos de la campagne, c'est ça ?", feignait de s'enquérir Xavier Bertrand, député de l'Aisne. "Je n'ai pas de réaction particulière. Il fautlaisser les procédures judiciaires se dérouler", évacuait M. Chatel.
Langue de béton, donc, dans les rangs de l'UMP, tandis qu'à gauche, où l'on déplorait de voir le grand oral de Jean-Marc Ayrault percuté par cet acte judiciaire, on pestait sur ce timing jugé inopportun. "Les juges auraient pu attendre quarante-huit heures : la déclaration du premier ministre est polluée", s'agaçait un député. Un proche du président confirme : "Il y a des choses qui ne se font pas. Ils n'étaient pas à vingt-quatre heures près..."
Le député (EELV) de Paris, Denis Baupin, louait au contraire la célérité de la chose : "Il est extrêmement important que la justice suive son court, elle a été beaucoup trop lente pour Jacques Chirac. Mais il est quand même préoccupant que l'on doive attendre la fin d'un mandat pour savoir si un président a été élu dans des conditions normales." "La justice suit son cours, elle passe, et elle agit, enfin", se réjouissait quant à lui Noël Mamère, député (EELV) de la Gironde qui, après avoir annoncé le matin même sur France Info son intention de s'abstenir, s'est finalement résolu à voter la confiance au gouvernement Ayrault.

"CONFORME AUX ENGAGEMENTS DE FRANÇOIS HOLLANDE"

Sur ce sujet, la gauche n'a pas voulu retenir le côté ennuyeux du premier ministre."Sérieux, vous voulez dire ?, souriait Michel Destot, député (PS) de l'Isère. Il a été conforme aux engagements de François Hollande, il a rappelé les éléments essentiels, c'était un discours de la méthode." S'il ne fallait retenir qu'une chose, c'est "le principe des valeurs comme le droit de vote des étrangers, un des points qui a le plus clivé d'ailleurs, et la fin du cumul des mandats", pour le maire socialiste de Grenoble, qui a déjà annoncé son intention de quitter son mandat de maire et de conseiller général.
"Nous ne sommes pas dans la politique spectacle, pas dans la surprise, poursuivait Patrick Mennucci, député (PS) des Bouches-du-Rhône. Nous n'attendions pas autre chose de la part de Jean-Marc Ayrault que du sérieux et du travail. François Fillon avait peut-être du souffle mais, quand il a arrêté, c'est laFrance qui était étouffée." Pour le député (PS) du Rhône Pierre-Alain Muet, "c'était tout-à-fait le souffle qui convient" pour présenter "une politique complète mêlant contrôle des dépenses et politique de l'emploi".

"ASSEZ MINABLE DE LA PART DE LA DROITE"

Les députés socialistes s'indignaient aussi de l'attitude de l'opposition. "C'était assez minable de la part de la droite, surtout quand elle a laissé le pays dans l'état dans lequel elle l'a laissé", soulignait M. Muet. Son collègue de Paris, Pascal Cherki, se disait, lui "très surpris par la manière dont la droite s'est comportée. Quand tu viens de perdre, tu écoutes d'abord ce que le premier ministre a à dire. Eux, ils aboient."
L'écologiste Denis Baupin a lui reconnu "beaucoup de mérite au premier ministre pour avoir résisté aux provocations d'une droite puérile et revancharde. J'ai été élu onze ans dans un hémicycle, à Paris, je n'avais jamais vu ça."
Et, pourtant, la législature ne fait que commencer. La confiance a été approuvée par 302 voix contre 225. Le premier ministre s'exprimera mercredi devant le Sénat tandis qu'à l'Assemblée nationale aura lieu un débat sur les résultats du Conseil européen des 28 et 29 juin.

Du discours de politique générale prononcé cet après-midi par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, les médias n'en retiennent que la brillante intervention de Jean-Louis Borloo, président du groupe UDI, à la tribune de l'Assemblée Nationale.

Le réquisitoire brillant de Jean-Louis Borloo


«J'ai eu le sentiment que vous nous demandiez une confiance que vous ne transmettez pas!», a lancé Jean-Louis Borloo au premier ministre mardi.
«J'ai eu le sentiment que vous nous demandiez une confiance que vous ne transmettez pas!», a lancé Jean-Louis Borloo au premier ministre mardi. Crédits photo : Jean-Christophe MARMARA/Le Figaro

Centre et gauche ont voté en ordre dispersé la confiance au gouvernement après le discours de politique générale de Jean-Marc Ayrault.


Le meilleur orateur de la journée, ce fut lui. Jean-Louis Borloo a fait mardi une prestation pleine de souffle et de drôlerie, sortant souvent de ses notes et rompant avec la monotonie des discours calibrés qui ont suivi celui du premier ministre. L'œil espiègle, le président du nouveau groupe UDI (Union des démocrates et indépendants) a lancé à Ayrault, devant un parterre de ministres: «J'ai eu le sentiment que vous nous demandiez une confiance que vous ne transmettez pas!»

«Opposition, nous sommes et resterons»

Il a dit qu'il ne voterait pas la confiance tout en apportant un «soutien partiel», notamment sur la réforme de la formation professionnelle. «Opposition, nous sommes et nous serons, mais il pourra nous arriver, quand l'intérêt national est en jeu, de vous donner un soutien particulier»,a-t-il déclaré. Très en verve, Borloo a encore lancé: «Ne procédez pas au détricotage systématique de ce qu'ont fait vos prédécesseurs!» Et s'est offert le luxe d'ajouter: «Le premier reniement de votre action politique est en réalité salutaire.» Le député du Nord voulait parler du traité européen de discipline budgétaire: «Merci d'accepter sa ratification le plus vite possible. Et je vous remercie d'inscrire la règle d'or dans un prochain débat à l'Assemblée nationale.»
Après ces deux uppercuts, il a poursuivi: «Je crains que vous ne soyez parti sur le chemin de la maltraitance ou de l'incompréhension des ouvriers, des salariés et des classes moyennes.» Dénonçant «l'absence totale de réduction des dépenses publiques», il a enjoint le gouvernement de sauver l'usine PSAd'Aulnay, «à défaut de quoi nous perdrions sur une industrie symbolique toute crédibilité internationale, et vous toute crédibilité politique (…) Attention au message d'un pays qui n'aimerait pas l'économie».

Alliés de gauche

Coprésident du groupe écologiste, François de Rugy a promis au gouvernement que les Verts seraient «des partenaires fiables, positifs, loyaux, mais exigeants». Après avoir menacé de s'abstenir de voter la confiance, Noël Mamère, dont l'annonce avait embarrassé les Verts, a décidé de la voter après avoir reçu des assurances sur le projet de réacteur nucléaire Astrid.
Sans surprise, André Chassaigne, président du groupe GDR (qui regroupe 10 élus Front de gauche et 5 ultramarins), a justifié l'abstention «constructive» du Front de gauche: «Nous pensons que vous faites fausse route (…) Nous n'avons pas le droit de décevoir cette espérance de changement, nous avons une obligation de résultats.»
Enfin, le président du nouveau groupe radical de gauche, Roger-Gérard Schwartzenberg a voté la confiance mais a réclamé «le droit à la différence»: «La gauche française a toujours été pluraliste. On ne peut pas envisager de faire passer le rouleau compresseur de l'uniformité sur ses composantes.»

http://www.lefigaro.fr/politique/2012/07/03/01002-20120703ARTFIG01035-le-requisitoire-brillant-de-jean-louis-borloo.php

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