lundi 2 juillet 2012

33 milliards d'euros à trouver l'an prochain et près de 8 milliards de hausses d'impôts

Didier Migaud : "Il faut trouver de l'ordre de 33 milliards d'euros pour 2013"





Premier président de la Cour des comptes et ancien député PS, Didier Migaud a remis au premier ministre, lundi 2 juillet, l'audit (PDF) que celui-ci avait demandé, le 18 mai, à l'institution de contrôle des finances publiques. Il en expose ici les conclusions.



A la lumière de l'audit de la Cour, comment qualifiez-vous la situation de laFrance en matière de finances publiques ?

La situation reste manifestement préoccupante. La France n'est pas sortie de la zone dangereuse dans laquelle elle est entrée il y a plusieurs années. Le redressement est engagé, mais l'essentiel du chemin est encore devant nous. Cela dans une zone euro fragilisée par la crise des dettes souveraines.

Avez-vous identifié une dérive des comptes publics ?

Pour 2012, les risques portant sur les dépenses sont limités et peuvent être maîtrisés. La situation est tout autre pour les recettes publiques. Il risque demanquer entre 6 et 10 milliards d'euros, dont 4 à 8 milliards pour le seul budget de l'Etat. Des mesures correctrices sont indispensables afin de respecter l'objectif d'un déficit public à 4,4 % du PIB, objectif inscrit dans le programme de stabilité transmis à nos partenaires européens.
Comment expliquer ces moindres recettes ?
Les prévisions initiales étaient trop optimistes. De plus, la croissance a été revue récemment à la baisse. Les moins-values prévisibles portent principalement sur l'impôt sur les sociétés et sur les droits de mutation.

Selon le ministre du budget, le gouvernement a laissé des dépenses sans financement. L'audit le confirme-t-il ?

Les impasses sur la dépense sont malheureusement récurrentes. Elles sont, en 2012, du même ordre de grandeur que les années précédentes, de 1 à 2 milliards. Les dépenses peuvent être tenues, cette année, à condition que ce risque soit couvert par des redéploiements de crédits et que, à cette fin, la réserve de précaution soit augmentée. C'est possible. Notre audit sur les dépenses ne tient pas compte des décisions annoncées après le 6 mai. Toute dépense nouvelle devrait aussi être financée par des économies.

Redoutez-vous que votre travail ne soit instrumentalisé ?

Pour la première fois, cet audit a été demandé à la Cour des comptes – une juridiction totalement indépendante – et non à une ou deux personnalités. Le rapport a été adopté par la chambre du conseil, qui réunit tous les conseillers maîtres de la Cour. La Cour aurait fait le même rapport si le résultat de l'élection avait été différent.

Quelle responsabilité a le gouvernement précédent dans la détérioration des comptes publics ?

Ce que l'on constate, c'est que les déficits sont anciens. Ils concernent donc des gouvernements de droite comme de gauche. Notre pays a manqué gravement de constance dans l'effort, relâchant celui-ci dès que la conjoncture s'améliorait. En 2007, le déficit structurel, corrigé de la conjoncture, s'élevait déjà à 3,5 % du produit intérieur brut [PIB]. Il était autour de 4 % en 2011.

L'objectif de ramener le déficit public à 3 % du PIB est-il tenable ?

La marche est haute. Il faut passer de 4,4 % à 3 %, et l'effort à réaliser est d'autant plus important que la croissance s'annonce très incertaine et que la France vadevoir honorer des contentieux fiscaux lourds et non intégrés dans le programme de stabilité. Avec une croissance de 1 % en 2013, qui correspond à la moyenne des prévisions des économistes, il faut trouver de l'ordre de 33 milliards d'euros pour passer de 4,4 % de déficit à 3 %, compte non tenu de l'impact des contentieux sur 2013, de l'ordre de 5 milliards.

Comment trouver ces 33 milliards ?

Avec plus de rigueur... Une des hypothèses est de faire porter la moitié de l'effort àvenir sur les dépenses, en les réduisant de 16,5 milliards d'euros par rapport à leur évolution tendancielle. Cela suppose de stabiliser en volume la progression de toute la dépense publique, donc de la faire évoluer comme les prix. C'est exigeant, plus exigeant qu'en 2011 ou 2012. Mais cet effort peut être accompli sans remettreen cause le cœur de l'action publique.

Pour la santé, l'éducation, la formation professionnelle, par exemple, la France dépense bien plus que des pays dont les résultats, dans ces domaines, sont pourtant sensiblement meilleurs que les nôtres.

Comment rendre ces mesures acceptables ?

Avant toute décision à fort enjeu, il faut mener des études d'impact et en tenircompte. La réduction de la TVA sur la restauration est un contre-exemple, de ce point de vue-là. Toutes les politiques publiques doivent être passées au tamis de l'évaluation. Il est en outre indispensable de faire partager les constats avec l'ensemble des acteurs concernés et les citoyens. Après, il est plus facile de réformer.

Toucher à la dépense publique semble plus difficile en France qu'ailleurs. Qu'en pensez-vous ?

Sur une longue période, une étude de l'Organisation de coopération et de développement économique [OCDE] démontre que plus on agit sur la dépense, plus la réduction des déficits est durable. La France est le deuxième pays d'Europe pour le poids des dépenses publiques. La réduction de la dépense est possible sans toucher à la qualité des services publics ni au cœur de notre protection sociale.

Notre pays est confronté à beaucoup de rigidités, à un foisonnement de structures et de politiques d'intervention. L'attente à l'égard de la puissance publique y est traditionnellement plus forte que dans d'autres pays. L'idée que toute réponse à un problème réside dans un supplément de moyens y est également répandue ; elle n'en est pas moins largement fausse.

Pourtant, après une phase de baisse des effectifs de la fonction publique, le nouveau gouvernement s'est engagé à une stabilisation sur le quinquennat. Quelles seront les conséquences de ce choix ?

Dans le contexte des finances publiques de 2013, la stabilisation des effectifs prive de toute marge de manœuvre salariale. Ce qui vaut pour 2013 vaut aussi pour les années suivantes. A cet égard, toutes les administrations publiques sont concernées.

L'Etat doit donc maigrir ?

Lorsque l'on parle de dépenses, il ne s'agit pas seulement de l'Etat, mais aussi de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales. L'acte III de la décentralisation, annoncé, doit permettre, avant toute chose, la clarification des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales, comme entre les collectivités territoriales elles-mêmes. Chaque politique publique, chaque administration doit gagner en efficience.

Vous évoquez 16,5 milliards d'effort sur les dépenses en 2013. Reste 16,5 milliards à trouver du côté des prélèvements...

La réduction des dépenses peut être complétée par des hausses d'impôts, dont certaines devraient avoir un caractère temporaire. Elles ne doivent pas pénaliser la compétitivité des entreprises. N'oublions pas que la France est tenue de faire face simultanément à deux déficits, l'un affectant ses finances publiques, l'autre sa compétitivité. Il faut avant toute chose amplifier la réduction des niches fiscales et sociales et, subsidiairement, recourir temporairement à des impôts à fort rendement comme la CSG ou la TVA.

Ces dernières hausses devraient permettre de laisser le temps nécessaire à la montée en puissance des mesures de réduction du poids de la dépense. Si les efforts ne sont pas faits maintenant, le prix à payer sera plus fort et douloureux. Mieux vaut faire des efforts maintenant que de se les faire imposer par d'autres demain. 2013 est, à cet égard, une année cruciale.

2013 sera donc le "tournant de la rigueur" ?

Paul Valéry disait : "La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur..."

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