vendredi 23 mars 2012

Nicolas Sarkozy sort l'artillerie juridique contre le terrorisme

Nicolas Sarkozy a annoncé de nouvelles sanctions pénales pour lutter contre le terrorisme dans son allocution télévisée à la suite de l'assaut. Sont-elles viables ? Les juristes semblent douter...


Source : Le Monde
La pénalisation de la consultation de sites "terroristes", une proposition peu réaliste
"Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites Internet qui font l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence sera punie pénalement." Dans une déclaration solennelle à la télévision et à la radio, une heure après la mort de Mohamed Merah, jeudi 22 mars, le chef de l'Etat a annoncé plusieurs mesures de lutte contre le terrorisme, dont la pénalisation de la consultation de sites extrémistes une mesure que le gouvernement veut mettre en place "sans délai", a annoncé François Fillon.

Mais cette mesure a de fortes chances d'être déclarée contraire à la Constitution. La Cour européenne des droits de l'homme, tout comme le Conseil constitutionnel considèrent que toute mesure limitant la liberté d'expression doit être précisément limitée et encadrée. Le blocage des sites pédopornographiques a ainsi été jugé légal en France et dans d'autres pays d'Europe, tandis que le blocage de sites de téléchargement illégal a été considéré, au niveau européen, comme attentatoire à la liberté d'expression, parce que trop vaste.

En pratique, une mesure similaire à celle proposée par Nicolas Sarkozy existe déjà en droit français pour les sites pédopornographiques. L'article 227-23 du Code pénal prévoit que "le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition [des images pédopornographiques] est puni de deux ans d'emprisonnement de 30 000 euros d'amende". Cette disposition est essentiellement utilisée comme outil de procédure par les enquêteurs : elle permet, par exemple, d'engager des poursuites lorsqu'une perquisition montre qu'un suspect est un utilisateur régulier de sites pédopornographiques.

Mais dans le cadre des affaires de terrorisme, la situation est beaucoup plus complexe. Où se situe la limite entre organisation terroriste et parti politique ? Les indépendantistes basques de Batasuna, par exemple, étaient considérés jusqu'en 2009 comme faisant partie d'une "organisation terroriste" par l'Union européenne ; Batasuna reste interdite en Espagne, mais pas en France. La consultation de son site depuis la France pourrait-elle être pénalement condamnable ?

LA LECTURE EN LIGNE DE "MEIN KAMPF" SERAIT ILLÉGALE

Surtout, une telle disposition créerait une législation d'exception, s'appliquant à Internet mais pas aux livres, par exemple. En France, la possession, la vente et a fortiori la lecture de Mein Kampf sont légales depuis 1979, mais la proposition énoncée par M. Sarkozy rendrait, en théorie, la lecture de l'autobiographie d'Adolf Hitler illégale en ligne.

Techniquement, la proposition soulève également de nombreuses questions, dans l'hypothèse d'un contrôle en amont, et non d'une simple utilisation au cours de perquisitions Nicolas Sarkozy s'est montré vague sur ce point. Un contrôle "a priori" nécessiterait, par exemple, de demander à tous les fournisseurs d'accès à Internet de signaler leurs utilisateurs se connectant à tel ou tel site. Cela suppose une infrastructure relativement lourde mais, surtout, ce type de surveillance est relativement facile à contourner, en utilisant par exemple des proxys qui permettent de changer son adresse IP.

D'autres craignent aussi que ce système serve de prétexte à la mise en place de techniques de filtrage très intrusives. "La seule et unique façon de réussir à détecter ce genre de consultation de site terroriste, c'est de placer sous écoute l'ensemble des citoyens français. Du DPI donc [Deep Packet Inspection] et surtout un recul de nos libertés", explique Korben, sur son blog. De tels systèmes sont mis en place par des pays portant atteinte aux libertés sur Internet, comme l'Iran. "On se trompe de cible en s'en prenant à Internet, il y avait du terrorisme avant Internet. Au lieu de criminaliser la consultation des sites, on a plutôt envie de voir que les efforts se concentrent sur les gens qui alimentent ces sites et qui sont responsables d'actes terroristes", a également commenté à l'Agence France-Presse Lucie Morillon, responsable du bureau nouveaux médias de Reporters sans frontières.

UN WEB ENCADRÉ ET CONTRÔLÉ

La proposition formulée par M. Sarkozy fait écho aux prises de position répétées du président de la République concernant le nécessaire contrôle du Web, qu'il décrivait volontiers à mi-mandat comme une "jungle". Nicolas Sarkozy mettait alors en avant le concept "d'Internet civilisé", pour décrire un Web encadré et contrôlé. Ces deux dernières années, M. Sarkozy avait mis de côté cette thématique, et décrivait volontiers Internet comme un lieu "naturellement bon", perverti par une minorité d'escrocs et de criminels tirant profit du téléchargement illégal et d'autres infractions. Les propositions formulées ce jeudi par le président redevenu candidat marquent un retour aux années 2008-2009, et notamment au vote de la loi Loppsi 2, qui avait, pour la première fois, introduit en droit français la possibilité de bloquer des sites Web.

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