vendredi 30 mars 2012

Et si on parlait des pesticides que nous consommons toujours autant ?

Les Français toujours très exposés aux pesticides

A l'occasion de la semaine pour les alternatives aux pesticides, Générations Futures a réuni les 23 et 24 mars au Sénat de nombreux experts ainsi que des victimes des pesticides. La France, qui reste le premier pays utilisateur de pesticides en Europe, a peu progressé dans ses objectifs de réduction et continue à avoir recours aux dérogations, y compris pour des substances dangereuses.
Alors que l’utilisation de pesticides dans l’agriculture préoccupe de plus en plus les Français, cette question reste singulièrement absente de la campagne présidentielle. Par ailleurs, les mesures réglementaires qui ont été prises dans le cadre du Grenelle, telles que le plan Ecophyto (qui prévoit « une réduction de 50% des pesticides d’ici 2018, si possible »), manquent de suivi politique pour atteindre l’objectif annoncé. Enfin, au niveau européen, « le système de dérogation permettant de continuer à utiliser les pesticides interdits est abusivement utilisé par les autorités françaises », explique François Veillerette, président de Générations Futures. C’est dans ce contexte que s’est tenu le « Congrès pesticides et santé » les 23 et 24 mars dernier, réunissant au Sénat des scientifiques, des associations de victimes des pesticides, des avocats, ainsi qu’un sénateur membre de la mission Pesticides du Parlement. Le sujet, bien que peu présent dans les programmes de la plupart des candidats à la présidentielle, fait pourtant l’objet d’actualités récentes et significatives. Ainsi l’agriculteur Paul François, qui a récemment gagné son procès contre Monsanto. La firme a été condamnée le 13 février à Lyon pour « intoxication » de ce céréalier charentais qui a subi de graves troubles neurologiques après avoir inhalé en 2004 du Lasso, pesticide aujourd'hui interdit. Un second procès vient d’être engagé contre Monsanto par Jean-Marie Desdions, céréalier dans le Cher, pour le même motif. Il est aujourd’hui atteint d’un cancer des os et le même principe actif, le monochlorobenzène, a été trouvé dans son organisme.

Plaintes de salariés de l’agroalimentaire

Sur le front judiciaire, les procédures n’émanent pas que des agriculteurs. Des employés d’,Eolys, une entreprise agroalimentaire bretonne rachetée aujourd’hui par une importante coopérative du secteur, Triskalia, ont également obtenu gain de cause sur un aspect majeur : la reconnaissance en accident du travail de leur intoxication aux pesticides ( voir article lié). Bien que leur métier ne les prédispose pas au contact avec ces produits, le fait de travailler à proximité de céréales déjà traitées les a exposés à des pesticides utilisés pour la conservation et stockés dans des silos ou des hangars, puis transportés dans des camions. Leur intoxication est due notamment à un pesticide pourtant interdit depuis 2006 le NUVAN TOTAL, mais auquel ils ont été exposés en 2009 et en 2010. Licenciés en outre pour « inaptitude professionnelle » suite aux maladies qu’ils ont développées, les employés attendent désormais la décision du Tribunal des prud’hommes, ainsi que les suites de la plainte qu’ils ont portée au pénal.

Maladies toujours absentes du tableau des maladies professionnelles agricoles

Si ces décisions témoignent d’une reconnaissance officielle de la toxicité des pesticides, il est encore difficile en revanche pour les agriculteurs de faire reconnaitre leur intoxication auprès du régime de la sécurité sociale agricole. Seul l’arsenic et ses composés minéraux sont associés à des cas de maladies professionnelles dans le tableau des maladies du régime agricole. Car la définition actuelle de ces maladies, qui repose sur la notion de certitude absolue des effets, n’est pas adaptée aux cas des pesticides. L’intoxication est en effet liée à la durée et une exposition à une faible dose n’est pas n’est pas forcément moins dangereuse et par ailleurs, l’effet cocktail des pesticides n’est toujours pas pris en compte. Autant de difficultés qui viennent s’ajouter à la reconnaissance des pesticides comme maladie professionnelle, dans un secteur où les victimes qui font reconnaitre leur situation et déclenchent des poursuites constituent une petite minorité.

Difficile combat des riverains

Autre combat en cours, celui des riverains de l’agriculture intensive. Fabrice Micouraud, issu du monde agricole, est en charge du dossier « Particuliers victimes des pesticides » au sein de Générations Futures. Cet habitant du Limousin a été confronté à l’usage abusif de pesticides dans l’arboriculture et demande, pour éviter les intoxications passives, la création d’une zone tampon de 100 mètres entre les lieux de pulvérisations et les habitations (mesure qui a d’ailleurs été prise en Argentine). Lorsqu’il a porté plainte en 2005, le Procureur a décidé d’engager des poursuites, mais il a finalement relaxé les arboriculteurs au bénéfice du doute. Pour maître Stéphane Cottineau, avocat au barreau de Nantes, si la France est dotée d’un cadre législatif à exploiter – celui relatif au « trouble du voisinage », combiné aux principes énoncés dans la Charte de l’environnement-, il rappelle que les « personnes qui sont victimes d'une contamination accidentelle pourront obtenir réparation si elles démontrent trois éléments : une faute ou un défaut du produit, un préjudice et un lien de causalité entre la faute ou le défaut et le préjudice ». Une démonstration qui reste donc complexe à réaliser.

Au-delà des procédures judiciaires, la question des pesticides est avant tout celle de leur réduction et des alternatives. C’est sur cet aspect que se concentrent les « doléances » de Générations futures, rappelées lors du colloque. Faire déjà appliquer la réglementation Ecophyto et cesser les recours aux dérogations, trop souvent utilisées pour écouler les stocks de produits interdits. De même, l’épandage aérien, censé être interdit depuis la loi Grenelle, bénéficie de ces « souplesses », comme l’a souligné un article du Monde du 23 mars. Le quotidien a révélé qu’une circulaire du ministère de l'agriculture, publiée le 5 mars, « introduit de nombreuses exceptions ». Les dérogations concernenent « toute une série de fongicides, herbicides, insecticides destinés à traiter le maïs, le riz, la vigne et les bananiers », dont « six sont classés officiellement "dangereux pour l'environnement" et "nocif" sur le plan toxicologique ».

Générations Futures rappelle à cet égard que les autorisations relatives aux pesticides relèvent exclusivement du ministère de l’agriculture et demande que l’avis des ministères de l’écologie et de la santé soit également pris en compte. L’ONG demande par ailleurs des critères plus stricts pour leur homologation, le soutien et l’autorisation des alternatives aux pesticides ainsi qu’un étiquetage informant les consommateurs. Quant au Professeur Charles Sultan, Professeur spécialiste en endocrinologie pédiatrique au CHU de Montpellier, et qui fut en 2000 l’un des premiers lanceurs d’alerte en France sur les conséquences médicale de l’exposition aux pesticides, il se prononce aujourd’hui pour leur suppression totale. « A l’époque, lorsque j’ai fait le lien entre ces molécules et malformation génitales des enfants d’agriculteurs, je demandais l’application du principe de précaution. Aujourd’hui, au vu de nombreuses études qui révèlent des troubles psychomoteurs, des phénomènes de puberté et précoces et des effets sur plusieurs générations, je demande leur interdiction », a-t-il conclu

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