jeudi 19 janvier 2012

Un sommet social en trompe l'oeil

Source : Le Monde


Nicolas Sarkozy a géré trés habilement le "sommet de crise" qu'il a tenu, mercredi 18 janvier à l'Elysée, avec les partenaires sociaux. Il a annoncé toute une série de mesures d'urgence pour l'emploi, qui sont plutôt du ressort du premier ministre, pour un coût total de 430 millions d'euros, avec lesquelles aucune organisation syndicale ne pouvait être ouvertement en désaccord. Et il s'est bien gardé de lever le voile sur la TVA sociale ou les accords compétitivité emploi, qu'il devrait annoncer à la fin du mois après une concertation avec sa seule majorité, privant les confédérations de mettre en avant leur opposition à ces orientations... puisqu'elles ne sont pas décidées. Le président de la République a affirmé d'emblée, en ouverture d'une réunion de quatre heures, que "la gravité de la crise imposait de pendre des décisions" et qu'on ne pouvait "pas attendre les échéances politiques pour décider". Privés de grain à contester, les dirigeants syndicaux n'ont pas fait de déclarations va-t-en guerre à l'issue de ce sommet en trompe l'oeil.


François Chérèque a qualifié d'"avancées utiles" les diverses mesures annoncées : simplification du chômage partiel (100 millions) ; financement par l'Etat des formations pour les entreprises "en mutation économique" (40 millions) ; formation des demandeurs d'emploi (150 millions) ; augmentation de 1 000 postes pour Pôle emploi. Le secrétaire général de la CFDT a cependant critiqué "le flou" sur le financement de ces 430 millions qui doit l'être par le redéploiement de crédits existant.


Bernard Thibault a jugé que ces annonces n'auront "pas d'impact véritable sur la situation de l'emploi aujourd'hui". Le secrétaire général de la CGT a appelé "à la poursuite d'une mobilisation pour faire en sorte que les éléments importants du droit social français ne soient pas mis au pilori". Mais, à ce stade, aucune réunion de l'intersyndicale n'est programmée. La CFDT est embarrassée par l'entrée en campagne de la CGT qui s'est ouvertement prononcée pour un changement de président de la République.


Dans leurs interventions liminaires, les syndicalistes ont réitéré leurs désaccords sur une réforme structurelle du financement de la protection sociale, à trois mois du premier tour de l'élection présidentielle. Pour M. Chérèque, "la perte de notre triple A, dont on ne sait plus si elle est grave ou pas, ne doit pas autoriser le gouvernement à une remise en cause de notre modèle social". Il s'est déclaré "fermement opposé à un transfert sur la TVA" des cotisations sociales - ce serait "une injustice criante" -, en proposant une réflexion sur le sujet au Haut conseil au financement de la protection sociale, qui doit être installé à l'initiative de M. Sarkozy, pour une "mise en oeuvre dès le début de la prochaine législature". Il a manifesté aussi son opposition à "une déréglementation du temps de travail".


"A quoi va servir ce Haut conseil si les décisions sont prises avant?", a interrogé M. Thibault, le président lui répondant que cette instance - à laquelle la CFDT n'a pas l'intention de participer dans l'immédiat - aurait d'autres sujets à examiner par la suite... M. Thibault a souligné "un constat de désaccord" sur l'idée, défendue par le Medef et "reprise à plusieurs reprises par le président de la République", que "la véritable cause du chômage était le coût du travail trop élevé". Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, qui voulait envoyer "bouler" M. Sarkozy sur cette question, a relevé que sur "l'allégement du coût du travail, il n'y a pas de proposition claire de la part du président de la République". Philippe Louis, le président de la CFTC, a récusé les accords de compétitivité, qui ne sont "pas de nature à restaurer la confiance entre les salariés et leur entreprise", et la TVA sociale qui provoquera une hausse des prix "qui pésera inévitablement sur le pouvoir d'achat".


Si M. Sarkozy n'a pas clarifié ses intentions, s'abstenant de prononcer la formule "TVA sociale", la CFDT est convaincue qu'il prépare "un calendrier trés habile": il pourrait annoncer sa volonté d'augmenter la TVA, en y transférant essentiellement les cotisations patronales sur la famille, mais en précisant que la hausse n'interviendrait qu'à l'été prochain, c'est à dire aprés la présidentielle... Il s'est ainsi beaucoup référé à l'Allemagne qui a augmenté la TVA en plusieurs étapes, ce qui a provoqué avant chaque hausse un surcroît de consommation. Les discussions ont donné lieu à des "échanges un peu musclés" entre M. Sarkozy d'une part, M. Thibault et M. Chérèque d'autre part. Le président a glissé quelques piques contre François Hollande sur le nucléaire - "ce serait bien qu'on en discute, a-t-il lancé au secrétaire général de la CGT, puisque là-dessus on n'est pas en désaccord" - et sur la réforme du quotient familial.


Selon un participant, M. Sarkozy a expliqué que les syndicats "ne sont pas là pour prendre des décisions difficiles" et que c'était au pouvoir politique de les assumer. Il a pris l'exemple de la réforme des retraites de 2003, conduite selon une "mauvaise méthode" - ce qui a fait grimacer son auteur, François Fillon - où l'approbation par la CFDT a provoqué en son sein "une crise interne". M. Chérèque a répliqué que les syndicats "ne sont pas là pour distribuer du miel" et que la CFDT était sortie finalement "renforcée" de la crise de 2003. Se projetant en candidat, qu'il n'est pas encore, M. Sarkozy a évoqué la création d'une banque d'investissement dédiée au financement de l'industrie - ce qui est une proposition du Parti socialiste - et il a chargé Gérard Larcher, l'ancien président du Sénat, de lui proposer dans les deux mois "une réforme radicale" de la formation professionnelle. "Si Larcher fait un rapport sur la formation, commente M. Chérèque, il sera obligé de le soumettre à la négociation", comme l'impose la loi du 31 janvier 2007, qui oblige à une concertation sur tout projet de loi social, dont l'ancien ministre du travail est justement l'auteur... Un sommet en trompe l'oeil.


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