mardi 3 janvier 2012

Alain Madelin : "La TVA sociale est une manipulation fiscale"

Je suis globalement favorable à l'esprit de la TVA sociale, la TVA sociale où la taxe est certes augmentée mais sans augmentation du prix du produit. C'est à dire, la baisse des charges aux entreprises diminue le prix des produits bruts qui est compensé par une hausse de la TVA. Ce jeu de chiffre aide donc à la santé financière de nos entreprises, participe à la diminution des projets de délocalisation, ne fait pas perdre d'argent à l'Etat et aux consommateurs.


Concernant le projet de TVA sociale discuté par le Président de la République lors de ses voeux et ensuite repris par différents membres du Gouvernement, on s'achemine vers une TVA sociale différente que celle pouvant être supposée. Le but de Nicolas Sarkozy, dans son projet dit de TVA sociale, est de rendre plus compétitif le travail français. Il n’est donc pas dans sa philosophie de compenser pour le salarié la hausse annoncée de la TVA, de la CSG ou de la taxe intérieure sur les produits pétroliers par une baisse des charges salariales qui augmenterait mécaniquement et d'autant le salaire net. Non, l’idée de l’Elysée est de réduire le coût du travail pour l’employeur, et donc de réduire en priorité les charges patronales.


On s'achemine donc vers une augmention de la TVA sans intervention sur les salaires des Français, c'est donc, à court terme, une réduction du pouvoir d’achat des Français qui se profile, sauf à supposer que les entreprises augmenteraient les salaires à due proportion de la baisse des charges pour ne pas répercuter dans les prix au consommateur la hausse de la TVA.


Enfin, si une hausse des salaires était éventuellement imposée aux employeurs, il resterait encore un problème à régler pour les fonctionnaires et les retraités.


Pour terminer, le fait de proposer un telle reforme a quelques semaines de l'élection présidentielle me dérange beaucoup. Le sujet étant brûlant en ce moment dans la classe politique, pourquoi ne pas laisser les Français décider lors des votes du 22 avril puis du 6 mai ?

Source : Le Point




L'ancien ministre de l'Économie et des Finances du gouvernement Juppé parle d'un effet dérisoire sur la compétitivité.


Le Point.fr : Êtes-vous toujours aussi opposé à la TVA sociale au moment où Nicolas Sarkozy la reprend à son compte ?


Alain Madelin : Il n'y a pas de nouvelle bonne raison qui me ferait changer d'avis. Bien au contraire. Dans la crise actuelle, proposer une réduction du pouvoir d'achat des Français pour le transférer vers les entreprises ne me paraît pas de bonne politique.

Cela vous fait un point commun avec le PS et Benoît Hamon...


Oui, mais pas avec Manuel Valls (rires) !
Mais de quoi s'agit-il ? De baisser les cotisations sociales des entreprises et de garder les bénéfices de cette baisse pour ces mêmes entreprises, même si, à l'intérieur du Medef, certaines voix se font entendre pour faire porter une petite partie de cette baisse sur les cotisations sociales des salariés. Au final, le jeu est très largement en faveur du patronat.


Par principe, vous êtes aussi opposé à ce que vous appelez "l'étatisation de la Sécurité sociale"...


Il faut d'abord déterminer de quoi on parle ! S'agit-il de transformer toutes les charges sociales des entreprises en TVA ? Si c'était le cas, il faudrait l'augmenter de 50 %. Il n'en est évidemment pas question. Il s'agit en réalité de ne transférer, dans la version la plus extrémiste, que 90 milliards de cotisations. Mais plus vraisemblablement, dans l'esprit du président de la République, cela concerne les seules cotisations patronales liées à la famille (30 milliards). Un tel transfert repose sur l'argument recevable que les allocations familiales ne constituent pas une politique d'assurance - on ne s'assure pas contre le risque d'avoir des enfants - et doivent ressortir de la solidarité nationale, contrairement aux retraites et à la maladie. Mais j'estime que le gouvernement devrait se garder d'augmenter la TVA ou la CSG pour financer les caisses percées de la Sécurité sociale et favoriser ainsi les entreprises qui bénéficient déjà de 30 milliards d'exonérations de charges sociales qui n'ont aucune justification historique de long terme !

Pourquoi la TVA sociale ne va-t-elle pas, selon vous, améliorer la compétitivité des entreprises françaises ?


Parce qu'on va appliquer cette baisse de cotisations sociales de 30 milliards d'euros à l'ensemble des entreprises, y compris celles qui ne sont pas exposées à la concurrence internationale. Dans l'industrie, on va l'appliquer à des entreprises qui utilisent une main-d'oeuvre relativement peu chère travaillant sur des machines très sophistiquées. Or, ce qui compte dans ce cas, c'est le coût de la machine et non pas le coût du travail.

Au final, si vous prenez 30 milliards d'exonérations de charges sociales, cela représente 4 % du coût du travail (salaires bruts plus charges patronales) de toutes les entreprises françaises. Pour une entreprise à 20 % de main-d'oeuvre, cela représente à peine 1 % du prix total ! Quand on pense que l'euro peut varier de 5 à 10 % par mois, on voit bien l'effet dérisoire. D'autant qu'on est aussi en compétition avec des pays où le coût du travail est trois ou dix fois moins cher...


D'une manière générale, il est faux de dire que la compétitivité de la France est un problème de compétitivité salariale alors que nos salaires industriels sont les mêmes que ceux des Allemands. La clé de la compétitivité est ailleurs que dans la recherche de la baisse du coût du travail, même s'il existe, il est vrai, une pression assez forte dans les pays qui ont profité du parapluie de l'euro pour mener des politiques d'endettement ou de distribution de pouvoir d'achat un peu imprudente car ne correspondant pas à leur productivité ces dernières années. C'est vrai à l'évidence pour la Grèce et l'Espagne, mais aussi un peu pour la France, ce qui explique cette pression en faveur d'une manipulation fiscale qu'est la TVA sociale.


Elle permet de faire participer les produits importés au financement de la protection sociale française...


Je vous rappelle que j'ai offert depuis longtemps un prix d'un million d'euros si on me montre un produit importé qui paie une taxe. Comme le dit la sagesse fiscale, ce n'est pas parce que vous mettez un impôt sur les vaches que ce sont les vaches qui paient l'impôt. Au final, ce sont les consommateurs de produits importés qui paient les taxes. Ce ne sont donc pas les Chinois qui paieront la protection sociale des Français, mais bien les Français eux-mêmes.

Quelles mesures faudrait-il prendre pour sortir de la crise ?


L'État français doit redevenir compétitif. Pour cela, des pans entiers de l'activité publique doivent être soumis à la concurrence à la manière des démocraties sociales nordiques. La France a aussi besoin d'un marché du travail beaucoup plus fluide, plus souple, d'une fiscalité tournée vers la croissance et de l'ouverture des secteurs protégés à la concurrence.
J'avais dit un jour, sous forme de boutade, qu'il ne faut pas chercher à copier l'Allemagne mais à copier l'iPad, c'est-à-dire la nouveauté. Le président de la République explique qu'il ne veut pas que des entreprises françaises aillent produire ailleurs pour réimporter en France. Si Obama avait tenu le même discours, il aurait condamné l'iPhone ou l'iPad ! Si on disait ça à Seb, on condamnerait les usines françaises de Seb. La compétitivité du futur se trouve dans des produits au "design" meilleur, mieux fabriqués, accompagnés de davantage de services... Bref, dans l'innovation et l'investissement.

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