mardi 13 décembre 2011

Durban : Un accord certes mais de façade...

Par Corinne Lepage, Ancienne Ministre, Présidente de Cap 21.




De retour de Durban, des leçons à tirer derrière un accord de façade

Achevée au petit matin avec 36 heures de retard, la conférence de Durban se clôt par un accord a minima. Certes, le processus est sauvé, une deuxième phase du protocole de Kyoto s'ouvrira, et des accords sur les forêts et sur le fond vert ont été trouvés.


Nous devons ce maigre succès très largement à la force de conviction de notre commissaire européenne, Connie Hedegaard, qui s'est battue point par point notamment avec l'Inde et la Chine en dernière minute pour arracher une légère amélioration de la feuille de route.


1. Qu'est ce qui a été décidé ?

Une feuille de route qui ne limitera pas le réchauffement à 2°
De se mettre d'accord sur une feuille de route pour signer un document légal dont la force juridique sera à préciser comme l'étendue de la contrainte. Trois options figurent dans le document :
- un nouveau protocole,
- un instrument « legally binding » que nous souhaitions, c'est-à-dire des engagements contraignants acceptés par tous les pays,
- ou un simple « acte juridique » à préciser – l'option la plus faible.


De plus si l'accord doit intervenir pour 2015, son entrée en vigueur n'est pas prévue avant 2020. Autrement dit, le gap que nous souhaitions réduire, soit entre 9 et 13 Gigatonnes de CO2 en excès avant 2017 pour prétendre limiter à 2 degrés le réchauffement climatique, ne sera pas réduit à temps.


Et il n'y a pratiquement plus aucune chance pour que nous parvenions à cet objectif, réitéré mais devenu virtuel, puisque des discussions sur de nouveaux engagements de réduction des émissions n'interviendront pas avant le prochain rapport du GIEC, prévu en 2014.


2. Lancement d'une deuxième période du protocole de Kyoto


Avant fin février, les pays devront notifier les mesures qu'ils entendent prendre pour se conformer à leurs objectifs. Sauf que cette deuxième période ne concerne que l'Europe des 27 et la Norvège avec, peut-être, l'Ukraine, la Suisse, la Nouvelle-Zélande et l'Australie.


La Russie, le Japon, le Canada et bien sûr les Etats-Unis qui n'avaient pas ratifié Kyoto1 n'en font pas partie. De plus, Australie et Nouvelle Zélande ont obtenu une rédaction sur la comptabilisation des émissions qui leur permettra de « dissimuler » une partie de leurs émissions. Dans la mesure où cela ne change rien aux émissions en Europe puisque nous sommes déjà engagés dans le cadre du 3 fois 20, l'efficacité réelle de ce nouveau protocole risque d'être très faible.


3. Nouveaux risques pour les forêts


Un accord devra être trouvé sur les forêts et les émissions dues aux changements d'affectation des sols et au secteur forestier ( »LULUCF » ). Le point le plus controversé est que ces accords laissent la possibilité d'étendre le marché carbone à ces secteurs, ce qui pose des problèmes redoutables (nouveau marché financier avec ses risques, mécanismes de contrôle, retour réel d'argent aux agriculteurs).


Surtout, la méthode d'évaluation risque d'être biaisée en ce qui concerne les forêts puisqu'ils s'agit de partir non des émissions réelles mais de celles que le pays avait l'intention de faire, pour calculer le différentiel.


Quels enseignements tirer ?

1. Pas encore d'équité carbone


Tout d'abord, l'incapacité des pays à dépasser les intérêts économiques immédiats y compris ceux qui seront les victimes évidentes du changement climatique comme l'Inde et l'Egypte.
La question de l'application du « principe des responsabilités communes mais différenciées », ou de l'équité carbone, sera au cœur des négociations sur un futur traité, les économies émergentes estimant que la lutte contre le changement climatique ne doit pas remettre en cause leurs besoins de développement.


2. Recomposition géopolitique

Une évolution géostratégique qui a redonné une vraie place à l'Europe comme moteur de la transition énergétique grâce en particulier à l'Allemagne dont les conférences ont été très suivies. La capacité qu'a eue la commissaire de rallier à sa feuille de route une centaine de pays dont les plus pauvres et les l'alliance des petits Etats insulaires (AOSIS qui sont appelées à disparaître rapidement en cas d'inefficience des mécanismes mis en place) a permis une nouvelle alliance qui dépasse la confrontation Nord-Sud.


Le bras de fer permanent USA-Chine est une donnée fondamentale qui explique leur retrait relatif du processus. Derrière la bataille politique de domination du monde se cache une bataille économique violente.


Personne dans les pays dits développés ne peut aujourd'hui accepter que la Chine se classe dans les pays du sud et puisse bénéficier de transferts de technologie et a fortiori de moyens financier au titre du Fond vert par exemple.


Il en va de même de l'Inde, puissance technologique majeure, dans une moindre mesure. Ce sujet doit être traité car le monde de 2012 n'est plus celui de 1997. La question de la responsabilité commune mais différenciée se repose donc de manière très claire. A ce niveau également.

3. Le Qatar bientôt à la manoeuvre


Enfin, le poids immense des lobbys en particulier pétrolier, gazier et charbonnier sur les négociations directement ou par Etats interposés. Il est particulièrement symbolique que se soit déroulé simultanément au Qatar le 20ème Congrès mondial du pétrole où la puissance et les moyens financiers immenses de cette industrie ont été déployés.


Et n'oublions pas que 450 milliards de dollars de subventions publiques (selon rapport OCDE) se déversent chaque année sur les industries fossiles ! Or, c'est ce même Qatar qui organisera la prochaine conférence des parties sur le climat (COP18), une véritable provocation qui laisse supposer que rien ne pourra s'y passer de progressif.


Le pire est à attendre d'une présidence dans un pays qui bat les records d'émissions de CO2 par habitant, poursuit les syndicats et ne reconnait de droits ni aux femmes ni aux ONG. Ce symbole traduit une forme de prise de pouvoir d'autant plus efficace que l'argent coule à flots y compris pour financer des campagnes électorales de certains de ceux qui négocient. Sans parler des milliards investis dans les think-thanks chargés d'organiser la fausse controverse scientifique sur le réchauffement climatique.


Cette situation pose un problème démocratique majeur. En réalité, c'est bien le problème de la gouvernance mondiale qui se pose. Celle-ci n'est manifestement pas capable de prendre en temps et en heure les décisions qui s'imposent dans l'intérêt des humains vivant aujourd'hui et plus encore de ceux qui vont naître.


Cette impuissance est d'autant plus criminelle que le récent rapport du PNUE démontre clairement que la croissance verte est non seulement plus vertueuse et peu coûteuse (moins de 2% du PIB mondial) mais plus riche en emplois. Désormais, seule une montée en puissance de la société civile internationale, syndicats, ONG, et la transition vers une nouvelle économie peuvent changer la donne.

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