vendredi 9 septembre 2011

Les deux crises par Valéry Giscard D'Estaing

Editorial du Point du 25 Août 2011.


Dans la secousse violente qui a ébranlé les "marchés" au début d'août, les particuliers n'ont joué aucun rôle. Ce ne sont pas leurs ordres de vente massifs qui ont déclenché la baisse à Wall Street ni en Europe. Cette baisse s'est produite dans la journée, à un moment où ils n'avaient pas le temps d'intervenir. Ce ne sont pas non plus les dirigeants des grandes banques qui auraient organisé la baisse. Leurs communiqués démontrent qu'ils ont été pris par surprise.


Cette secousse a été provoquée par la rencontre de deux mouvements spéculatifs, indépendants l'un de l'autre, qui ont provoqué un phénomène d'écho. Le premier, et le plus important, qui s'est produit à Wall Street, était dû à la baisse de la notation de la dette américaine, qui exprimait un doute sur la solidité de l'économie du pays et la vigueur de sa croissance. Cette économie restant, et de loin, la première au monde, l'inquiétude sur son évolution a fait chuter les Bourses d'actions américaines et européennes.


Les remous entraînés par le risque de défaillance des dettes souveraines de certains Etats européens, notamment la Grèce, étaient en train de s'apaiser, en raison des décisions judicieuses, quoique tardives, prises le 21 juillet. La spéculation, voyant s'éloigner ses espérances de profit, a cherché de nouvelles occasions. Elle pensait les trouver en Italie. Mais la baisse de la notation des Etats-Unis lui a proposé un autre choix : est-ce qu'un événement semblable ne pourrait pas concerner un grand pays européen, et alors, lequel ? Son attention a été attirée sur le cas de la France, en raison de l'augmentation massive et constante de son endettement. Alors que, pendant les vingt-deux premières années de la Ve République, la dette publique de la France a été maintenue à un niveau modéré (20 % du PIB en 1980), conformément à la tradition financière de notre pays, poursuivie par le général de Gaulle et son ministre des Finances, les gestions suivantes l'ont fait exploser ; elle a doublé pendant les deux mandats du président Mitterrand, passant de 20% à 56% du PIB en 1995; et elle a doublé une seconde fois pendant les gestions de ses successeurs, atteignant 84,7% du PIB en 2011, soit aujourd'hui 1 646 milliards d'euros. La charge annuelle de la dette absorbe désormais la totalité du produit de l'impôt sur le revenu payé par les Français, et l'existence d'un déficit public supérieur à 6% en 2011, ainsi que les risques liés à l'augmentation du coût des emprunts, font apparaître les dangers de cette situation. D'où la rumeur qui s'est répandue sur la fragilité financière de la France.


Cette évaluation est sans doute exagérément pessimiste. Le pouvoir politique a encore les moyens de redresser la situation, mais cela supposerait de sa part, comme de la part de l'opinion publique, un changement de culture, car le monde politique français reste fondamentalement dépensier. Pour faire face à tout accident conjoncturel ou saisonnier, ou pour répondre à toute frustration sociale, on annonce le "déblocage" de crédits budgétaires. La société médiatique salue cette décision, or ces crédits "bloqués" n'ont aucune existence ! Il s'agit tout simplement d'une rallonge de la dette.


Cette inquiétude sur la solidité financière de la France s'inscrit dans une perspective plus angoissante. Le magazine américain Time annonçait en couverture la semaine dernière : "Le déclin et la chute de l'Europe".


Ce jugement s'appuie sur trois éléments : l'endettement massif des Etats européens, leur faible croissance comparée à celle des pays émergents et leur taux élevé de chômage. Il s'y ajoute deux considérations psychologiques : l'inefficacité, constatée dans cette crise, des institutions politiques de l'Europe à 27, et la perte de confiance de l'opinion publique dans ses chances de connaître un meilleur avenir. Ces données sont exactes, et chacune appelle un traitement spécifique.


Il me semble que la première étape consiste à doter la zone euro, devenue désormais la zone d'intégration de l'Europe, d'une organisation solide, simple et lisible : des réunions régulières des chefs de gouvernement, une future présidence, un programme rapide d'harmonisation fiscale pour les entreprises, une structure de surveillance des dettes souveraines préparant dans le calme la possibilité d'émettre, lorsque les conditions seront remplies, les titres en euros de la future dette européenne, un mécanisme de décision efficace reprenant le principe de la double majorité proposé par la Constitution européenne, et enfin une option ouverte aux Etats qui refuseraient de respecter ces contraintes leur permettant de sortir de la zone euro en retrouvant une monnaie nationale, sans doute bien fragile...


La mise en route de ce programme, dans la ligne des conclusions de la rencontre entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, suffirait, me semble-t-il, pour décourager la spéculation internationale sur les dettes souveraines des Etats de la zone euro, protégées par une solidarité réaliste.


Bien entendu, l'autre volet de la crise, qui est la crainte d'une récession américaine, continuera d'entretenir la volatilité des marchés financiers. C'est au gouvernement américain de donner un contenu à sa politique de relance. La zone euro n'a ni les moyens d'y contribuer, ni l'autorité nécessaire pour l'influencer, dans l'état actuel de tension de la société politique américaine.
Mais elle peut jouer un rôle utile en prenant ouvertement ses distances vis-à-vis d'une globalisation financière dévergondée par les excès de la spéculation et dont les institutions - qu'il s'agisse du groupe des 20 ou du Forum de Davos - se sont montrées incapables de prévoir la crise, et de proposer les solutions adaptées, en décidant de retrouver les règles et d'observer les pratiques d'un fonctionnement de l'économie stable et responsable


Valéry Giscard d'Estaing de l'Académie Française

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