mercredi 4 août 2010

La Russie en proie aux flammes et à la canicule




Les feux de bois sont interdits." Cruelle ironie, cette vieille affiche, accrochée au bord d'une route forestière, est au beau milieu d'un paysage lunaire. De la forêt, il ne reste que les troncs d'arbres calcinés, tandis que le sol, toujours fumant, est parsemé de branches enflammées.




A 130 kilomètres au sud-est de Moscou, la région de Kolomna est particulièrement touchée par la vague de feux qui embrase la Russie d'est en ouest.

Medvedev décrète l'état d'urgence dans 7 régions

Le président russe Dmitri Medvedev a décrété, lundi 2 août, l'état d'urgence dans sept régions de Russie en raison des incendies de forêt et de tourbe qui y font rage. Dimanche, le gouvernement russe affirmait toutefois que la situation était "maîtrisée", en dépit des nouveaux foyers d'incendies qui se sont déclenchés au cours du week-end dans le pays.
Selon le ministre des situations d'urgence, plus de 150 000 hommes étaient mobilisés pour lutter contre les incendies. "Sur 1 200 incendies, 620 ont été éteints, il en reste 580", a-t-il souligné. Les feux de forêt ont coûté la vie à 40 personnes, selon un nouveau bilan.



Le gouvernement russe estime provisoirement à 128 millions d'euros le coût de cette catastrophe. Trois mille personnes ont déjà été évacuées. Certaines banlieues de grandes villes, comme Nijni-Novgorod, Togliatti et Voronej, sont menacées par les flammes. Les évacuations pourraient donc être plus nombreuses dans les jours à venir, d'autant que les météorologues ne prévoient pas de répit : les températures frôleront les 40°C toute la semaine, et aucune précipitation n'est prévue dans les prochains jours.

La ville de Kolomna est elle-même plongée dans une ambiance irréelle depuis jeudi. Le ciel, de couleur ocre, est saturé par la fumée, l'air est difficilement respirable. Une étrange lumière, filtrée par les nuages de cendre, donne à la ville une atmosphère de fin du monde.




Pourtant, la vie se poursuit presque normalement dans cette ville de 150 000 habitants. Les commerces sont ouverts, et les habitants, écrasés par la canicule, nombreux à se rafraîchir dans la rivière Oka qui borde le centre-ville. Comme si de rien n'était, un cortège de voitures passe à petite vitesse, tous klaxons hurlants : un mariage vient d'être célébré, les invités se dirigent vers la fête.




Il faut prendre la direction du sud pour identifier l'origine de ces fumées âcres. Sur les routes des environs du petit bourg de Lukhovitsy, la fumée est de plus en plus épaisse et la visibilité quasi nulle. Les forêts brûlent toujours en bord de route, mais aucune équipe de secours n'est en vue, exception faite d'une petite jeep du ministère des situations d'urgence garée sur le bas-côté, avec deux employés somnolents à bord. Non loin d'eux, deux jeunes filles visiblement inconscientes, en jupe et en T-shirt, s'amusent à découvrir le paysage apocalyptique au milieu des braises fumantes.




A quelques kilomètres de là, le hameau de Mokhovoïé, lové dans la forêt, a été pratiquement rayé de la carte. Parmi la dizaine de petits immeubles résidentiels de trois étages, fabriqués à l'époque -soviétique, un seul n'a pas été touché par le feu.




Les jardins communautaires, qui constituaient pour la plupart des habitants l'unique source de revenus, ont été rasés par les flammes. Entre les choux calcinés, les hommes tentent de récupérer quelques bouts de ferraille.




"J'ai tout perdu, ma maison, mes papiers, tout a brûlé", raconte Piotr, la cinquantaine, qui constate les dégâts sur son petit lopin de terre. "C'est arrivé jeudi midi, le vent soufflait, la forêt brûlait, et puisqu'il n'y a pas de zone tampon entre le bois et le village, le feu a tout emporté", explique-t-il, -épuisé. Six personnes sont décédées dans le seul petit village de Mokhovoïé. Certains ont été asphyxiés en tentant de trouver refuge dans le caveau à légumes de leur jardin ; des personnes âgées, sans voiture et incapables de -prendre la fuite, sont mortes dans leur appartement. Sept villageois seraient également portés disparus.




"Comment est-ce possible de laisser mourir des gens ainsi ?, s'emporte Maria Mourougova, 34 ans, dont la mère habite le village. Les gens paniquaient, ils étaient laissés à eux-mêmes, ceux qui n'avaient pas de voiture -appelaient des proches au téléphone en disant, "Ça brûle, venez nous chercher !"... Il n'y a pas eu -d'évacuation, pas un seul pompier n'est venu, ce sont les hommes du village qui, sans moyens, ont tenté d'abattre quelques arbres à l'orée de la forêt pour éviter que les flammes ne touchent le village, sans succès."




Soudain, à quelques mètres de Maria, deux hommes hurlent : "Putain, ça recommence, regardez ici !" A moins de deux mètres d'une maison, une fumée blanche monte du sol. Non seulement le village est entouré par la forêt, il est également construit sur d'anciennes tourbières, particulièrement inflammables. Un petit groupe d'hommes se précipite alors pour éteindre le feu, armés de quelques pelles et d'un dérisoire seau d'eau.




Le premier ministre, Vladimir Poutine, que des sites Internet montrent vertement interpellé par des villageois lors d'une visite dans la région de Nijni-Novgorod, s'est engagé à dédommager les victimes et à reconstruire "tous les villages détruits avant l'hiver". "Ce ne sont que des mots, mieux vaut compter sur soi", -ronchonne Grigori, qui s'acharne à extraire du sol une poutre de métal, qu'il réutilisera "quand on va reconstruire". Les habitants de Mokhovoïé s'activent désormais à récupérer le matériel utilisable, par crainte des pillards. L'un d'eux a écrit à la craie, sur un bout de tôle, "voleurs de métal, je serai impitoyable", vaine menace face à l'impuissance.




Pour certains, de toute façon, l'avenir du village est sans issue : "Il n'y avait plus de travail, l'usine voisine a fermé en 2000, il ne restait que six gamins au jardin d'enfants cette année ", explique Maria Mourougova : "Le village de Mokhovoïé n'existe plus depuis le 29 juillet 2010. Mais où vont aller ses habitants maintenant ?"







Alexandre Billette

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