jeudi 1 juillet 2010

Réduction du train de vie de l'Etat : beaucoup de bruit pour rien ?

Source : Le Monde

Très bon article à propos des annonces démagogiques de l'Elysée...



Le geste est solennel et symbolique. Par une lettre, Nicolas Sarkozy a fait savoir, lundi 28 juin, à François Fillon qu'il allait faire taire les polémiques des derniers mois sur le train de vie de l'Etat. Double salaire de Christine Boutin, utilisation douteuse des logements de fonction de Christian Estrosi et de Fadela Amara, hôtel à 600 euros la nuit pour Rama Yade ; il fallait remettre de l'ordre.

Mais à y regarder de plus près, les "demandes" du chef de l'Etat au premier ministre sont surtout symboliques. L'opposition n'hésite pas à dénoncer des "effets d'annonce". Le texte de la lettre se partage entre mesures déjà existantes, mesures sans grand impact et rappel de bon sens. Mais peu de traces de chiffres ou de précisions d'applications.

Les mesures sur le train de vie de l'Etat – les plus détaillées – représenteraient une économie d'un milliard d'euros. Les mesures sur les "dépenses d'intervention" – les moins détaillées – entraîneraient, elles, une économie de 3,5 milliards d'euros. Soit, au total, 4,5 % de la réduction de déficit de 100 milliards d'euros promise à l'Union européenne pour ramener le déficit public à 3 % en 2013.

LES RAPPELS DE BON SENS POUR RÉPONDRE AUX POLÉMIQUES

Le recours aux transports ferroviaires doit être privilégié et le nombre de personnes accompagnant les ministres doit être limité. Une réponse directe aux polémiques aériennes de certains ministres : Christian Estrosi et son Washington-Paris en jet privé pour 138 000 euros en 2008 ou encore, en mars dernier, Alain Joyandet et son jet privé à 116 500 euros pour aller en Martinique.

Les déplacements en avion seront prohibés s'il existe une liaison ferroviaire de moins de trois heures, précise même Nicolas Sarkozy à François Fillon qui, en 2007, avait pris l'avion pour inaugurer le TGV Est qui ramenait Strasbourg à 2 h 20 de Paris.

Toute "utilisation abusive" en matière de frais de bouche sera sanctionnée et les avantages en nature doivent être limités à l'exercice par les ministres de leurs fonctions. Un rappel à l'intention de Christian Blanc, secrétaire d'Etat du Grand Paris, qui, en l'espace de dix mois, s'est fait offrir pour 12 000 euros de cigares par l'Etat.

Lors de déplacements, les ministres auront recours aux ambassades et préfectures. Attaque à peine voilée envers Rama Yade, secrétaire d'Etat aux sports, qui, après avoir critiqué le train de vie des Bleus, a loué, en Afrique du Sud, une chambre d'hôtel plus chère que la leur.

L'Etat ne louera plus d'appartement dans le parc privé pour ses hauts fonctionnaires. Cela s'apparente à des logements de fonction et concerne six ministres. Mais certains ministres possèdent, en plus de leur appartement de fonction, un appartement privé loué par l'Etat, comme c'est probablement le cas de Christian Estrosi.

LES MESURES DÉJÀ ANNONCÉES

Les dépenses d'intervention seront réduites de 10 %. Ce chiffre était connu depuis le 12 mai. Ces dépenses, qui regroupent notamment les aides à la construction de logements et à l'emploi ou encore le revenu de solidarité active et l'allocation pour adulte handicapé, représentent 67,6 milliards d'euros dans le budget 2010. Le gouvernement veut les amputer de 3,5 milliards d'euros. Mais sur cette mesure, toujours aucun détail.

Les logements et véhicules de fonction ne seront plus systématiques. C'était déjà une promesse du candidat Sarkozy qui souhaitait laisser "un appartement de fonction uniquement pour les ministres qui en ont besoin". Aujourd'hui, douze ministres habitent dans un logement de fonction.
Les logements de fonction des ministres seront assujetis à l'impôt sur le revenu et à la taxe d'habitation. La fiscalisation des logements de fonction existe déjà depuis 2007. Ce fut une des premières mesures du premier ministre François Fillon.

10 000 véhicules de fonction seront supprimés (sur 75 000). La réduction du parc automobile gouvernemental a déjà fait l'objet d'une circulaire début juin. Le Figaro rappelle par ailleurs que la flotte automobile de l'Etat a enregistré une hausse de 7 400 véhicules depuis 2006.

Le nombre de collaborateurs sera limité à 20 personnes pour les ministres et quatre pour les secrétaires d'Etat. Le candidat Sarkozy avait annoncé en 2007 que "[s]on gouvernement sera[it] limité à quinze ministres". Il compte aujourd'hui 20 ministres et 19 secrétaires d'Etat. S'il avait tenu sa promesse, il aurait pu, selon le député apparenté PS René Dosière, faire une économie d'environ 100 millions d'euros. En outre, les ministres commencent déjà à faire la grimace, Christine Lagarde la première, qui rappelle que ses 28 collaborateurs "travaillent comme des brutes" et que "ce n'est pas mes huit collaborateurs en moins qui résorberont la dette".

La suppression de la garden-party du 14 Juillet. Ce n'est qu'une confirmation de ce qu'avaient annoncé des sources proches du gouvernement le 23 juin. Si l'on se base sur le coût de la garden-party de 2009, cela devrait représenter une économie d'environ 700 000 euros.

LES MESURES À FAIBLE IMPACT

La suppression des chasses présidentielles, remplacées par "de simples battues de régulation". "Comique", a commenté Jérôme Cahuzac, président socialiste de la commission des finances de l'Assemblée sur le plateau de France 2, mardi matin : "Je ne suis pas sûr que ce soit du niveau du président de la République de prendre ce genre de décision." Cette mesure devrait représenter 12 000 euros d'économie.

La suppression du concert du 14 Juillet. Cela devrait correspondre à une économie d'un peu plus de 3 millions d'euros.

Lors de la livraison de l'avion long-courrier commandé pour le gouvernement, les deux moyens-courriers actuellement possédés seront cedés. Selon l'ancien premier ministre Dominique de Villepin, ce nouvel avion – un Airbus A330 spécialement aménagé – coûte 180 millions d'euros. "Il y a un problème évident derrière", a-t-il souligné sur France Inter. "Cet avion par définition connaît des pannes, des réparations." "Dans une période de crise, on aurait pu se contenter de garder la flotte ancienne", a-t-il conclu.

LES MESURES NON DÉTAILLÉES

Tous les frais liés à la vie privée des ministres seront acquittés sur leur deniers personnels. "Quand vous êtes dans un logement de fonction et que, passé 22 heures, vous lisez un livre, est-ce dans le cadre de votre logement de fonction ou de votre vie privée ? Il va falloir un compteur pour mesurer tout ça", estime M. Cahuzac. De plus, le président précise que "toute violation de cette règle sera immédiatement sanctionnée". "La promesse de sanctions n'est en rien un gage de bonne gestion pour l'avenir, prévient M. Cahuzac. Sans compter que pour rembourser les frais exagérément pris en charge par leur ministère, il faut d'abord que ces excès soient connus."
Le "nombre de cérémonies, réceptions ou manifestations" organisées par les ministres seront réduites au "strict minimum exigé par leur fonction". Là aussi, pas de précisions. Où commence et où finit le "strict minimum", et qui en jugera ?

LE GRAND ABSENT : LES SALAIRES

A la différence des mesures prises en Irlande ou au Portugal, les salaires des ministres ne seront pas réduits. "A partir du moment où il n'y a pas de réduction des salaires des fonctionnaires, des agents publics ou autres, je ne vois pas pourquoi les chefs des administrations que sont les ministres [...] seraient amenés à réduire leur salaire", a justifié le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel.

L'opposition, Jérôme Cahuzac en tête, s'est en outre empressée de dénoncer le fait que le chef de l'Etat ne revoit pas à la baisse son propre salaire. "Je ne conteste pas que le président de la République soit bien rémunéré", a expliqué M. Cahuzac. "Je dis simplement que si un signal doit être donné, il me semble que revenir à la rémunération dont s'étaient contentés le général de Gaulle et tous ses successeurs et donc revenir sur l'augmentation de 170 % de son salaire aurait été plus convaincant", a-t-il poursuivi.

L'ensemble de ces orientations seront précisées par le biais d'instructions de François Fillon au gouvernement dès septembre prochain. Il faudra donc attendre le prochain projet de budget triennal, fin septembre, pour connaître les détails chiffrés des mesures de réduction des dépenses publiques. Mercredi 30 juin, le ministre du budget, François Baroin, doit présenter en conseil des ministres une "deuxième vague" de la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui "représentera autour de 10 milliards" d'économies sur 2011-2013.

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