mardi 18 mai 2010

Balladur : sans l'euro «l'Europe sortirait de l'Histoire»



Source : Le Figaro


L'ancien premier ministre prône une meilleure coordination des politiques économiques européennes.

LE FIGARO. - Le plan de sauvetage de 750 milliards décidé par les pays membres de la zone euro et le FMI a-t-il résolu les difficultés de l'euro ?


Édouard BALLADUR . - Pas encore, la crise n'est pas finie. L'aide financière considérable décidée par l'Union européenne et le FMI a été décisive pour éviter l'effondrement de la Grèce et ses conséquences. Reste à aller plus loin et à ramener les déficits publics et l'endettement des pays européens à des niveaux supportables. Mais il ne faut pas essayer d'aller trop vite, en mettant à mal la croissance économique encore trop faible, ce qui signifierait des recettes fiscales moindres et un déficit public important. La décision prise par le gouvernement français de geler la dépense des ministères me paraît bonne. Il faut fixer un horizon plus long que trois ou quatre ans pour revenir, s'agissant des déficits publics, à un niveau de 3% du PIB. C'est plus réaliste.


Quelles autres décisions l'Europe doit-elle prendre pour survivre à la crise ?

La gouvernance économique de l'Europe doit être améliorée. Nos difficultés actuelles ont pour origine l'absence de coordination budgétaire et fiscale entre les États. Désormais, nous avons le choix entre l'intégration et la désintégration. J'ai déjà proposé il y a plusieurs mois que chaque gouvernement soumette à ses partenaires de la zone euro son projet de budget. Une fois que ces derniers l'auraient accepté à la majorité qualifiée, mais avec pondération des voix selon le poids de chaque pays, ce projet pourrait être soumis au Parlement national, sans qu'il y ait en rien un dessaisissement de ce dernier, qui conserverait le droit de voter ou non le budget. Dès lors que les États ont décidé de s'entraider en cas de difficulté, ce contrôle préalable est indispensable. Par ailleurs, il faut mettre en place un véritable fonds de stabilisation et de solidarité financière permettant aux États les plus fragiles d'être, si besoin est, soutenus par les plus forts. Il faut également mettre en place les mécanismes de régulation financière nécessaires pour lutter contre la spéculation. C'est un problème mondial et pas seulement européen, qui ne pourra être résolu qu'en accord avec les grandes puissances que sont les États-Unis, le Japon et la Chine. La crise de l'euro est un épisode de la crise mondiale.

Êtes-vous d'accord avec la proposition allemande d'inscrire dans la Constitution l'interdiction de faire des déficits ?

Il peut y avoir des circonstances où un déficit plus important est souhaitable pour stimuler l'économie, comme on l'a vu il y a quelques mois. Mieux vaudrait que les pays de la zone euro s'accordent sur un plan pluriannuel de réduction de leurs déficits et vérifient chaque année qu'il est bien mis en œuvre.

L'euro en tant que tel est désormais régulièrement mis en cause. Est-il à l'origine des problèmes économiques de l'Europe ?

Non. Si l'euro est attaqué, c'est parce que les États de la zone affichent des déficits trop importants et une croissance notablement inférieure à celle des autres régions de la planète. La véritable cause, c'est que, depuis longtemps, nous n'avons pas eu le courage politique d'engager les réformes nécessaires pour nous adapter à la compétition mondiale. L'éclatement de la zone euro ne ferait qu'aggraver les problèmes, entraînant l'explosion des taux d'intérêt, des dévaluations anarchiques, des déficits publics accrus, une spéculation financière sans frein. La Grande-Bretagne a-t-elle retiré un bénéfice de son refus de participer à la zone euro ? Notre pays, lui, en y prenant toute sa part, en a retiré un surcroît d'influence et de puissance, le bénéfice de taux d'intérêt plus bas, l'avantage d'une monnaie commune dans une zone où il réalise la plus grande part de ses exportations. Le G20 va se réunir et étudier une réforme du système monétaire international. Quelle serait l'influence de la France qui le présidera, si elle ne parlait plus au nom de l'Europe, la zone euro ayant explosé, mais en son nom seul ? Si la zone euro disparaissait, l'Europe sombrerait et sortirait de l'Histoire ; la France en serait gravement affaiblie et n'aurait plus le choix qu'entre la solitude et une situation de satellite d'une grande puissance monétaire, comme ce fut le cas si longtemps après la guerre. Grâce à l'euro, nous en sommes sortis. Une Europe solide nous apporte un surcroît de force.



Mais l'euro peut-il survivre avec de telles disparités économiques au sein de sa zone ?

Il faut y remédier. C'est tout l'objet de la meilleure coordination budgétaire que j'ai suggérée dans vos colonnes il y a trois mois. Les disparités fiscales et sociales sont trop fortes dans la zone euro. L'union monétaire doit, pour survivre, être accompagnée d'une union économique plus forte. Nous ne cessons de vanter le modèle social européen. Encore faut-il le préserver et, pour cela, avoir le courage politique de faire les réformes nécessaires pour nous adapter à la mondialisation, alors que nous avons, aujourd'hui, dans l'ensemble, des déficits publics plus importants et une compétitivité moins grande que bien des pays dans le monde.

Le gouvernement refuse d'employer le mot «rigueur» pour qualifier sa politique. Le mot est-il tabou ?

Ces querelles sémantiques ont quelque chose d'un peu puéril. Quel que soit le mot utilisé, il faut réduire le déficit et l'endettement, à un rythme raisonnable et sans casser la reprise qui s'amorce.


Réformes : «Le temps du répit n'est pas venu»


Faut-il, comme l'a laissé entendre Nicolas Sarkozy, faire une pause dans les réformes, après l'adoption de celle des retraites ?

Il me semble qu'il a contesté l'avoir dit. De toute façon, l'état de nos comptes publics ne sera pas rétabli en quelques mois, il faudra plusieurs années pour réduire nos déficits, réformer l'État et la protection sociale. Cela veut dire beaucoup de réformes importantes à mettre en œuvre. Le temps du répit n'est pas venu.


À un quinquennat de réformes ne devrait donc pas succéder un mandat de rassemblement ?

Pourquoi opposer les deux ? S'imaginer que l'avenir ne nous réservera plus qu'une gestion tranquille serait se faire des illusions. J'approuve la façon dont le gouvernement aborde la réforme des retraites, il peut dans d'autres domaines montrer sa capacité à convaincre sans brutalité. Je suis persuadé que les Français peuvent le comprendre. Je crois aux vertus de la discussion, sans pour autant souhaiter un arrêt des réformes.


Vous avez souhaité que Nicolas Sarkozy déclare rapidement ses intentions sur 2012. Comprenez-vous qu'il attende jusqu'à l'automne 2011 ?

Si j'en crois ce que je lis, notamment dans Le Figaro, il n'y a pas beaucoup de doute à avoir. Qu'il ne parle pas lui-même de la prochaine échéance présidentielle est compréhensible, que d'autres en parlent est inévitable.


Avec la limitation à deux mandats, les prétendants à la succession de Nicolas Sarkozy ne vont-ils pas se déclarer aussitôt après son éventuelle réélection ?

Nous n'en sommes qu'au premier mandat, et je n'ai pas l'impression que nous manquions de prétendants… Quant à la limitation à deux mandats, elle a le mérite de donner à un président réélu l'esprit plus libre encore pour servir l'intérêt général, sans être entravé par des préoccupations électorales.


Croyez-vous au maintien de François Fillon à Matignon jusqu'en 2012 ?



La réforme territoriale que vous avez conçue finira-t-elle en peau de chagrin ?

La procédure parlementaire est en cours. La création du conseiller territorial commun aux départements et aux régions est un progrès considérable qui prépare le rapprochement entre les deux collectivités. Reste à trouver le mode de scrutin à la fois le plus efficace et le plus juste. Reste aussi à avancer sur la création des métropoles et sur les compétences respectives des communautés de communes et des communes. C'est un élément décisif de la réforme. Son but est d'affirmer le rôle des régions, sans supprimer les départements, ainsi que le rôle des communautés de communes, sans porter atteinte à l'existence des communes.


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