lundi 16 janvier 2012

Quelle va être la vie sans le triple A ?

Il y aura de nombreux effets indésirables. La dégradation de plusieurs États de la zone euro, dont la France, a encore réduit le cercle des pays les mieux notés. Les banques, les entreprises publiques ou privées mais aussi les ménages devraient en subir les conséquences...


Source : le Monde

La France a perdu sa note financière AAA, la meilleure possible, désormais abaissée d'un cran, à AA+, avec perspective négative, a confirmé, vendredi 13 janvier au soir, l'agence d'évaluation Standard & Poor's. Avec quelles conséquences ?


Depuis quand la France affichait-elle un AAA ?


Paris bénéficiait de la meilleure note possible chez Standard & Poor’s depuis sa première évaluation, le 25 juin 1975, l’année où l’agence a recommencé à noter la dette de certains Etats (après une interruption de plus de trente ans). Coïncidence, 1975 est l’année à partir de laquelle la France n’a plus terminé un seul exercice budgétaire à l’équilibre.
Depuis la dégradation des Etats-Unis, le 5 août 2011, Paris pouvait se targuer d’être le plus ancien des pays notés par Standard & Poor’s à afficher sans discontinuer un AAA. Des lauriers qui reviennent désormais à la Norvège, qui a toujours obtenu ce 20/20 depuis sa première notation, le 9 juillet 1975.


Chez les deux autres grandes agences, Paris affiche un AAA depuis ses premières évaluations : 1979 pour Moody’s et 1994 pour Fitch. Si toutes deux accordent encore à la France la meilleure note possible, elles ont, elles aussi, mis Paris sous pression. Moody’s pourrait prochainement placer le AAA de la France "sous perspective négative", une procédure qui se traduit dans 50 % des cas par une dégradation dans les deux ans. Fitch a déjà mis la France sous "perspective négative" ; mais elle a prévenu qu’elle ne retirerait pas son AAA en 2012.


Pourquoi donne-t-on tant d’importance à ces notes?


Ces évaluations répondent à un besoin dans l’univers de la finance : savoir mesurer les risques d’une créance par rapport à une autre. En clair, savoir à qui un investisseur – banque, assureur, fonds… – peut prêter en toute sécurité et auprès de qui le risque est plus élevé.


De grands investisseurs ont souvent délégué cette évaluation du "risque crédit" aux agences, leur faisant confiance aveuglément. Par exemple, un fonds, qui va décider de n’investir que dans des obligations notées AAA, va vendre cette dette si elle est dégradée, sans se demander si cette sanction est justifiée ou non.


Les réglementations financières et prudentielles ont peu à peu intégré ces notations, transformant ces agences en acteurs "quasi institutionnels", reconnaît-on à Bruxelles. Législateurs et régulateurs ont par exemple décidé d’utiliser ces notes pour mesurer la qualité des fonds propres des banques, ou celle des titres déposés en garantie auprès d’une banque centrale quand des établissements financiers lui empruntent des fonds.


Une dégradation est-elle synonyme de taux d’intérêt plus élevés?


En théorie, les choses sont simples : les agences de notation donnent une opinion sur la solidité de la dette d’un pays et les investisseurs suivent ces recommandations et réclament des taux d’intérêt plus ou moins élevés, en fonction de la note, quand ils prêtent de l’argent.


Avoir un triple A, l’équivalent d’un 20/20, devrait être la garantie absolue d’emprunter à bon compte. Mais, dans la réalité, ce phénomène n’a pas toujours lieu, comme le montre l’exemple des Etats-Unis. Si Standard & Poor’s a abaissé la dette américaine, le 5 août 2011, en la faisant basculer de AAA à AA+ (la deuxième note sur vingt-deux, qui est désormais celle de la France), Washington emprunte toujours à des taux faibles et plus bas qu’avant sa dégradation.


C’est que la perte de cette note a provoqué une forte tension sur les marchés financiers, entraînant un repli des investisseurs vers les valeurs refuges par excellence que sont… les bons du Trésor américain. Reste que l’euro n’a pas encore atteint le statut du dollar comme monnaie de réserve.


Autre cas marquant, le Japon et sa dette s’élevant à 233 % du produit intérieur brut, simplement notée AA– par Standard & Poor’s (la quatrième sur vingt-deux dans la grille de l’agence). Or, Tokyo se finance à très bas coût, car sa dette est détenue à 90 % par les investisseurs de l’Archipel. En France, la répartition est inverse, les investisseurs étrangers détenant 65 % de la dette du pays.


Par ailleurs, les marchés sont souvent en avance sur les agences de notation. D’abord parce qu’ils bougent tous les jours et réagissent en permanence aux informations nouvelles, mais aussi parce qu’ils cherchent… à anticiper les décisions des agences. Voilà pourquoi les différents pays, jusqu’ici notés AAA au sein de la zone euro, empruntaient ces derniers mois à des taux forts différents.


Quelles seront les conséquences sur le budget de la France et sur les ménages?


En 2012, Paris a prévu d’emprunter 178 milliards d’euros sur les marchés financiers pour refinancer sa dette passée arrivant à échéance et combler son déficit, attendu à 4,5 % du produit intérieur brut (PIB).


Ces derniers mois, la France a vu les taux auxquels elle emprunte diverger considérablement de ceux de l’Allemagne, et certains autres Etats de la zone euro également notés AAA, comme les Pays-Bas ou la Finlande. C’est le signe que les marchés faisaient déjà le tri entre les différents pays ayant la meilleure note possible, avant même cette dégradation. L’écart de rendement entre les obligations à dix ans de la France et celles de l’Allemagne – on parle de "spread" dans le jargon financier – ont atteint jusqu’à 2 points de pourcentage mi-novembre 2011, avant de s’établir depuis autour de 1,3 point, contre 0,3 point en mai.


Malgré ces énormes tensions, le taux moyen auquel la France a emprunté en 2011 n’a été que de 2,8 %, le deuxième plus bas de l’histoire, après 2010 (2,5 %). Ce paradoxe s’explique par le report des investisseurs sur les produits financiers jugés les plus sûrs, les emprunts d’Etat, au détriment des actions ou d’autres actifs considérés comme plus dangereux. En 2011, les rendements des emprunts français à dix ans sur le marché dit "secondaire" (celui de la revente des obligations) ont atteint en moyenne 3,30 %. Soit bien moins que le taux de 3,7 % prévu dans le projet de loi de finances pour 2012 pour ces emprunts à dix ans, qui font office de "baromètre".


Désormais notée AA +, la France est évaluée comme la Belgique l’était jusqu’à fin novembre. Or celle-ci a emprunté à dix ans à un taux moyen de 4,24 % en 2011. Soit environ un point de pourcentage de plus que la France. Selon les calculs des analystes d’Amundi, une hausse des taux de 1 point de pourcentage représenterait pour la France un surcoût de 3 milliards d’euros la première année. Avec une conséquence pour les ménages : si l’Etat verse des taux d’intérêt plus élevés pour se financer, accéder à un crédit immobilier ou à la consommation coûtera aussi plus cher. Car les taux des obligations d’Etat sont une base de calcul essentielle pour tous les autres types d’emprunts.


Quel sera l’impact sur les entreprises, les collectivités locales et le Fonds européen de stabilité financière?


"Vous ne pouvez pas noter une entité sans tenir compte des frontières dans lesquelles elle évolue", explique un ancien cadre d’une agence de notation. Voilà pourquoi, à de très rares exceptions – quatre entreprises américaines dont Microsoft et le pétrolier Exxon Mobil –, aucune entreprise ou organisme ne bénéficie d’une note supérieure à celle de l’Etat dans lequel elle est située. Cette dépendance à la note de l’Etat vaut tout particulièrement pour les emprunteurs qualifiés de "subsouverains" : les collectivités territoriales ou les établissements publics, qui bénéficient de la garantie implicite de l’Etat.


La dégradation de la France va faire perdre leur AAA à une myriade de gros emprunteurs : la Caisse des dépôts et consignations (CDC), la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), l’Unedic, Réseau ferré de France (RFF), l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), la Ville de Paris, la Caisse nationale des autoroutes… La note AA+ de la SNCF va, elle aussi, baisser. Les entreprises dont l’Etat est actionnaire pourraient elles aussi être dégradées : c’est le cas de La Poste, mais aussi de EDF, France Télécom, Aéroports de Paris…


Au niveau international, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), qui emprunte des fonds sur les marchés pour les reverser ensuite aux pays de la zone euro en difficulté, risque également de perdre son AAA. Ce dernier ne reposait que sur la garantie des six Etats de l’union monétaire bénéficiant jusqu’ici de la meilleure note possible: la France, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas et la Finlande. Or, de six AAA, la zone euro est passée à quatre, après la dégradation de la France et de l’Autriche. Et Paris était une des deux clés de voûte de ce système de garanties, vu le poids de son économie


Standard & Poor’s a indiqué toutefois que le FESF pourrait conserver la note maximale. Mais pour cela, il faudrait que les quatre pays encore notés AAA augmentent leur soutien financier.

Est-il déjà arrivé qu’un pays ayant perdu son AAA le regagne?


Perdre son AAA n’est pas une fatalité. Mais le retrouver peut prendre beaucoup de temps. Le Danemark a vu Standard & Poor’s lui retirer son AAA en 1983, avant de le regagner en… 2001. Un sésame que le royaume détient toujours grâce à une dette publique limitée à 44,33 % du PIB en 2011, ce qui lui permet d’emprunter à dix ans à des taux inférieurs à 2 %. Chez Standard & Poor’s, quatre autres pays ont déjà perdu puis regagné ce AAA : le Canada (1989 puis 2002), la Finlande (1992 puis 2002), la Suède (1993 puis 2004) et l’Australie (1986 puis 2003). Tous bénéficient encore de cette note.


A l’inverse, les Etats-Unis, l’Irlande, le Japon, la Nouvelle-Zélande et l’Espagne n’ont pas regagné ce AAA qu’ils avaient pu obtenir par le passé – certains durant très longtemps comme Washington, d’autres durant juste quelques années. Dublin, Madrid et Tokyo en sont même à mille lieues.


Combien reste-t-il de pays AAA dans le monde ?


Avant cette dégradation, Standard & Poor’s décernait son AAA à dix-huit Etats sur 127 notés, dont six à l’intérieur de la zone euro. Désormais, ils ne sont plus que seize, dont quatre à l’intérieur de l’union monétaire (Luxembourg, Allemagne, Pays-Bas et Finlande).


Hors zone euro, Standard & Poor’s octroie son AAA aux Etats suivants : Singapour, Canada, Royaume-Uni, Norvège, Suisse, Danemark, Suède, Australie, Ile de Man, Guernesey, Hongkong et Liechtenstein. Parmi eux, seul Singapour affiche une dette publique supérieure à celle de la France, à 98 % du PIB contre 86,87 % pour Paris.


La France a-t-elle payé Standard & Poor’s pour être notée?

Le modèle économique de ces agences repose sur le principe controversé du «noté-payeur» : les emprunteurs s’"offrent" une évaluation pour faire acte de transparence, rassurer les investisseurs et pouvoir lever des fonds à meilleur prix. Un système généralisé à l’exception de… quelques grands Etats dont la France. Paris – comme Berlin, Rome, Londres ou Washington – ne verse pas un centime à Standard & Poor’s, qui effectue son évaluation de façon "non sollicitée".


Pour les agences, noter de tels Etats est souvent incontournable : pour des questions d’image, mais surtout car cette évaluation va servir d’étalon aux autres emprunteurs de ces pays, qui, eux, payent pour être évalués. "La notation souveraine représente moins de 10 % du chiffre d’affaires", glisse une source dans l’une des grandes agences. Mais cela ne les empêche pas d’être rentables: la marge opérationnelle de Standard & Poor’s a atteint 42,99 % lors des neuf premiers mois de l’année, celle de Moody’s 41,8 %.


Que faire pour diminuer le poids des agences de notation ?

Aux Etats-Unis comme en Europe, une intense réflexion a été menée depuis la crise financière et à l’avalanche de critiques déversée sur les agences : elles ont été accusées, pêle-mêle, d’avoir favorisé la bulle des subprimes aux Etats-Unis en accordant des AAA à des produits financiers toxiques ou d’avoir dégradé trop brutalement des pays, favorisant la propagation de la crise des dettes souveraines. A Washington comme en Europe, les autorités essaient de limiter – voire de supprimer – les références aux notations dans les législations. Bruxelles tente aussi de faire émerger davantage de concurrence – les trois grandes contrôlent 90 % du marché – afin de varier les opinions et diminuer l’impact potentiel d’une dégradation.


La Commission a aussi réfléchi à la possibilité de suspendre la notation d’un pays si jamais celui-ci traversait une mauvaise passe, pour ne pas le déstabiliser davantage. Avant de faire machine arrière, de peur que ce gel ne stresse davantage les marchés, qui pourraient en conclure qu’on veut lui cacher de très mauvaises nouvelles.

Clément Lacombe

http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/01/14/a-quoi-ressemble-la-vie-apres-la-perte-de-la-note-aaa_1629624_3234.html#xtor=EPR-32280229-[NL_Titresdujour]-20120115-[titres

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