samedi 7 août 2010

La France : pays où le débat sur la déchéance de la nationalité va aussi loin !

La déchéance de la nationalité à travers l'Europe


La plupart des pays de l'Union sont dotés de lois autorisant la déchéance de la nationalité pour des crimes et délits précis. Mais seule l'île de Malte est allée aussi loin que ce que ce que l'Elysée propose en France.

En France, la procédure de déchéance de nationalité reste pour le moment très rare car elle est strictement encadrée. Conformément à l'article 25 du code civil, seuls risquent d'être déchus les citoyens naturalisés condamnés à certains crimes ou délits précis comme l'«atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation», le terrorisme, ou ceux qui se livreraient «au profit d'un État étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciable aux intérêts de la France». Des conditions très restrictives que l'on retrouve dans les autres pays d'Europe.


Seule Malte punit certains de ses criminels de droits communs issus de l'immigration par une déchéance de nationalité : si un citoyen est condamné à une peine supérieure à un an de prison dans les sept années qui suivent sa naturalisation, il perd automatiquement la nationalité maltaise. Dans les autres pays européens, il faut en revanche porter gravement atteinte à la sûreté de l'Etat ou représenter une réelle menace pour ses intérêts pour risquer une déchéance : être coupable de crimes de guerres, d'actes terroristes, servir dans une armée ennemie…


Ces motifs sont restreints car les lois qui autorisent la procédure doivent être conformes à un certain nombre de textes. Il peut par exemple s'agir de la Constitution nationale : en Allemagne, l'article 16 de la loi fondamentale indique ainsi que «la nationalité ne peut pas être retirée» et que «la perte de la nationalité ne peut intervenir qu'en vertu d'une loi et seulement si celui-ci ne devient pas de ce fait apatride». De même, un bon nombre de pays européens - à l'exception notable de la France - ont ratifié la Convention européenne sur la nationalité du Conseil de l'Europe qui stipule que «nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité» et que «chaque Etat partie doit être guidé par le principe de la non-discrimination entre ses ressortissants, qu'ils soient ressortissants à la naissance ou aient acquis leur nationalité ultérieurement.»




Entretien avec Patrick Weil :

«La déchéance de nationalité est une mesure d'exception»


INTERVIEW - Depuis sa naissance en 1848, la procédure de déchéance de la nationalité n'a été utilisée que pour des cas de trahison ou de terrorisme, rappelle Patrick Weil, historien spécialiste de l'immigration.

Patrick Weil est l'auteur de Qu'est-ce qu'un Français? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution (Gallimard, 2005).

LEFIGARO.FR - Quand est née la procédure de déchéance de la nationalité ?


Pactrick WEIL. - Elle est apparue avec l'abolition définitive de l'esclavage, en 1848. Le décret d'abolition déclare que tout Français qui continue à pratiquer la traite ou qui achète de nouveaux esclaves sera déchu de la nationalité française. Au départ, c'est donc une procédure destinée à punir le crime exceptionnel, qualifié de «lèse humanité», qu'est l'esclavage.


La procédure est ensuite temporairement élargie au moment de la Première Guerre mondiale. Le parlement vote alors une législation spéciale pour temps de guerre, qui permet notamment de déchoir des Français originaires des pays ennemis (Allemagne, Autriche, Hongrie, Turquie), pour des actes de trahison ou d'insoumission. Comme prévu en 1917, cette législation prend fin dans la cinquième année suivant la fin de la guerre, soit en 1924.


Quand la procédure devient-elle pérenne ?

En 1927, la déchéance de la nationalité devient une mesure permanente pour certains motifs, paradoxalement dans un contexte d'assouplissement des conditions de naturalisation. Face à la puissance démographique de l'Allemagne qui fait peur, la France veut en effet procéder à 100.000 naturalisations par an. Pour voter le texte, la droite demande une clause de «sauvegarde». On prévoit donc que pourront être déchus les Français d'origine étrangère qui se seront livré à des actes contraires à la sécurité intérieure, à des actes incompatibles avec la qualité de Français au profit d'un État étranger, ou qui se seront soustraits aux obligations du service militaire. On est toujours dans le domaine de la trahison à l'égard de l'État.

En 1938, de nouveau dans un contexte de tensions importantes, la déchéance est élargie aux Français qui, dans les dix années suivant leur naturalisation, ont commis en France ou à l'étranger un crime ou un délit ayant entraîné une condamnation d'au moins un an d'emprisonnement. On reste néanmoins dans un contexte de naturalisations massives et la dénaturalisation n'a qu'un but dissuasif. Entre 1927 et 1940, on ne dénombre ainsi que 16 cas.

Vichy est donc le seul régime français à avoir procédé à des dénaturalisations massives ?


Entre 1940 et 1944, le gouvernement de Vichy procède à 15.000 dénaturalisations. Sont d'abord visés les Juifs : 7000 Juifs d'origine étrangère perdent la nationalité française. Le reste, ce sont surtout des délinquants. Fait tout à fait exceptionnel, les dénaturalisations ont donc sous le régime de Vichy été bien plus nombreuses que les naturalisations (2700). Par la suite, il y aura encore plus de 450 déchéances à la Libération, visant des collabos et des insoumis. Des tentatives ont lieu contre des naturalisés communistes pendant la guerre froide, mais elles sont bloquées par le Conseil d'État.


Comment évolue la loi française après la Seconde Guerre mondiale ?


L'ordonnance de 1945 garde la possibilité de déchoir pour crime, mais désormais au-delà de 5 ans d'emprisonnement. Cette disposition est abolie en 1998 par la loi Guigou. Entre-temps, en 1996, se sont ajoutées des dispositions qui permettent de déchoir pour terrorisme. À l'heure actuelle, on n'a donc gardé que les cas de terrorisme et d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation (à condition que la personne déchue ne se retrouve pas apatride, ndlr).


Et dans le monde ?


Les excès de la première moitié du XXe siècle donnent lieu après la Seconde Guerre mondiale à un mouvement de sanctuarisation de la nationalité dans les démocraties occidentales. On considère désormais que la nationalité relève de la souveraineté nationale et ne doit pas être aisément mise en cause par un pouvoir exécutif - qui ne gouverne que temporairement et peut obéir à des objectifs électoralistes. La nationalité est garantie par des conventions internationales, le droit à la nationalité est proclamé dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et la lutte contre l'apatridie se développe.


Assiste-t-on, ailleurs qu'en France, à des tentatives d'élargissement de la procédure de déchéance ?


Le Royaume-Uni a adopté des dispositions mais uniquement pour des cas de terrorisme. Aux États-Unis, il y a eu également une proposition, sous Bush, de «Patriot Act 2», qui n'a jamais été adoptée. Plus récemment, le débat a ressurgi à l'occasion de la tentative d'attentat à Times Square, impliquant un Américain d'origine pakistanaise. Dans les deux cas, c'est lié au terrorisme. La France est le seul pays où le débat va aussi loin.


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